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Les Décombres

Les Décombres

Titel: Les Décombres Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Lucien Rebatet
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d’une roideur de propos inouïes dans le privé, menant dans des rumeurs de sédition une perpétuelle politique de fronde, avait eu le plus étroit souci des convenances sociales et religieuses. On l’avait toujours vu plein de soupçon et de réticences devant une certaine liberté d’esprit et d’allure, qu’elle se manifestât par la couleur d’un costume, par la curiosité des formes littéraires imprévues, par une franche sensualité, une verve épicée ou une appréciation non fardée des théologies. Il écartait finalement ceux qui s’en rendaient coupables pour leur préférer en toute occasion des personnages armés de faux-cols austères, de lauriers d’Institut et de paroissiens romains.
    Je me suis souvent interrogé sur cette contradiction. Pour bien s’expliquer sur elle, il faudrait pousser le portrait de Maurras beaucoup plus loin qu’il n’est dans mon dessein de le faire. Maurras se sentait-il obligé par les origines cléricales del’ Action Française, par un système appuyé sur tout l’ordre établi et qui le fit louvoyer si curieusement et habilement entre le refus d’un rôle politique à l’Église et l’affirmation qu’il était vain de construire un édifice politique hors du catholicisme universel ? Sans doute ces scrupules sont-ils entrés pour une forte part dans son cas. Mais Maurras y était porté par sa nature autant que par ses calculs. Je l’ai vu dix ans durant, chaque semaine, exercer sur les rubriques littéraires de son journal une censure aussi comique et vétilleuse que celle de l’abbé Bethléem. Il avait devant Baudelaire, Rimbaud, André Gide ou Proust des répulsions non point seulement esthétiques, mais de vieille demoiselle qu’effarouche une peinture un peu crue du vrai.
    Cette disposition n’a pas peu contribué à faire del’ Action Française un rassemblement d’abbesses, d’antiques vierges, de dames et de puceaux d’œuvres, de gentilshommes bretons à bottines et sacrés-cœurs, de vieillards qui ont perpétué jusqu’à notre âge la race des ultras et des zouaves pontificaux. Il resterait à savoir de quelle utilité pouvaient bien être ces curieux fossiles de notre paléontologie sociale dans un parti qui se réclamait si volontiers de la subversion.
    J’ai souvent pensé aussi à ces années de la guerre où André Gide écrivait à Maurras et se rapprochait chaque jour un peu plus de lui. La rencontre n’a jamais eu lieu. Pour qui sait la pitoyable versatilité du grand Gide en matière politique, il est peu vraisemblable que cette rencontre eût été féconde. En 1917, personne ne pouvait prévoir cependant les ridicules avatars de Gide. Maisl’ Action Française était faite pour repousser un Gide, et pour attirer et choyer un Le Goffic. La littératured ’Action Française a compté, Dieu merci, quelques autres auteurs, à commencer par le Daudet des grandes années. Mais ce fut toujours en dépit de Maurras, admirable écrivain dans le jet quotidien, laborieux, contourné dès qu’il a voulu viser plus haut, et qui pour les lettres en est resté toute sa vie aux goûts d’un bon professeur de seconde frotté d’un peu de symbolisme.
    En 1938, au sortir de la prison qu’il avait supportée avec un incomparable stoïcisme, Maurras avait bien le droit de souhaiter une réparation éclatante et cinglante pour ses ennemis. Il n’en restait pas moins consternant et fort typique qu’il eût quêté pour cela les suffrages de l’Académie, le dérisoire honneur d’y être accueilli par [un] Henry Bordeaux, que cette consécration eût tenu dans ses soucis une place immense. Cette soif de respectabilité fut la petitesse de cet homme grand par bien d’autres traits. C’est en justifiant ses préjugés au lieu de les secouer qu’il a été le plus infidèle à sa destinée, s’inclinant devant tant d’hommes qui ne lui arrivaient pas à la cheville, devant tant de poncifs, lui qui fut si souvent l’incarnation de l’audace.
    L’ Action Française ne devait pas tarder à obtenir son absolution de Sa nouvelle Sainteté romaine, le prudent et melliflu Pacelli. Le Vatican, pour accomplir ce geste réparateur de la plus abjecte avanie, exigea des comités directeurs de la maison une lettre de plat repentir. L’outrance que mit Maurras à proclamer sa gratitude souligna encore cette humiliation.
    On hissa rue du Boccador le pavois des grandes victoires. C’était pourtant un bien piètre renfort que celui des

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