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Les Décombres

Les Décombres

Titel: Les Décombres Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Lucien Rebatet
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de fonctionnaires recuits. L ’Action Française traînait derrière elle comme un pilier de tripot un faix de dettes toujours grossissant, elle se faisait escroquer avec une naïveté de vieille rentière bigote. Son extravagant budget alimentait à longueur d’année la verve furibonde et superbement soldatesque de deux ou trois lucides et truculents vétérans de ce bobinard, selon leur mot favori, tous du reste d’une fidélité que rien ne pouvait ébranler. L’un d’eux disait de Pujo : « Il dort vingt heures sur vingt-quatre, et il lui faut quatre heures pour se réveiller. » Il démontrait dans un monologue célinien et intarissable que lorsqu’on n’est pas fichu de mettre de l’ordre dans un journal, on est assez mal venu de prétendre à l’administration de la France.
    On remâchait indéfiniment les fautes commises, les occasions manquées, les truismes familiers en ce lieu : l’ Action Française microcosme de toutes les démocraties, en portant chaque tare décalquée à l’envers –, pagaïe financière, jactance, inertie, bureaucratie –, comme ces médecins sombrant à la fin dans les perversités qu’ils traitent, sa prise du pouvoir imaginée comme l’avènement de la plus bouffonne anarchie que la France aurait pu connaître, l’impossibilité pour un pareil journal de survivre à Maurras. Le vieux doctrinaire avait mis en effet un singulier acharnement à faire le vide autour de lui. Que de fois ai-je entendu récapituler la longue liste des exclus, des talents quel ’Action Française découragea, compter l’incomparable rédaction qu’elle eût fourni ! Maurras, apologiste passionné de la continuité, s’était refusé tout successeur, avait systématiquement écarté de lui tout candidat à son héritage. Sa confiance par contre allait infailliblement aux personnages les plus falots ou les plus nuisibles, une bande de ratés, de plats flatteurs, voire de vrais gredins à scapulaires. Georges Calzant, odieux butor, s’était vu quinze ans auparavant confier le quartier Latin alors qu’on y comptait quinze mille monarchistes. Ses grossièretés, ses bourdes, ses mouchardages avaient si bien fait qu’à la veille de la guerre on ne connaissait pas cent étudiants qui restassent vraiment dévoués à notre pavillon. Calzant n’en demeurait pas moins inamovible, couvert en toutes circonstances par Maurras, consulté, approuvé, entretenu grassement par cinq ou six caisses de la maison.
    J’avais aimé et admirél ’Action Française réprouvée, excommuniée, engueulant les légats, les cardinaux, le pape, renouant après tant d’autres traditions salubres celle de l’éternel anticléricalisme gaulois, l’ A. F. des inénarrables et délicieuses campagnes du « nonce-espion », ou des « partouzes de Monseigneur Ceretti », objet d’abomination pour les pères de familles pieuses et les conférenciers de Saint-Vincent-de-Paul. Pour tout dire, mon adhésion définitive à sa politique datait d’un soir lyonnais de 1927, après la Rhénanie, où l’un de mes plus chers compagnons de jeunesse entrant quelques semaines plus tard au noviciat des Jésuites, et qui m’avait durant des années ennuyé par son maurrassisme littéraire et fédéraliste, m’annonça sa rupture avec cette maison que Rome venait de condamner. Nous fûmes ainsi toute une troupe de parpaillots, qui compensions assez bien la dissidence des porteurs de chapelets.
    Ces temps de subversion s’achevaient. Le jour où nous apprîmes le trépas de notre ennemi Pie XI, à la fin de l’hiver 1939, j’examinais avec Maurice Pujo l’importance du titre qu’il convenait de faire sur cette nouvelle. Pujo me dit tout guilleret : « Croyez-vous qu’il faut que nous lui foutions six colonnes, à ce pape ? Enfin, si vous y tenez… » Ce fut le dernier mot del’ Action Française schismatique. Depuis de longs mois déjà, devenue vieille dame, elle tournait ses pensées vers le salut de son âme. On voyait de plus en plus à ses visiteurs des tournures bondieusardes. Avec la mort du pape Ratti, une vive animation s’était emparée des cénacles de dévote bourgeoisie qui avaient toujours formé le fonds de la clientèle royaliste. On devinait chez eux la hâte d’apaiser leurs consciences, si longtemps mises à l’épreuve. Maurras portait à leurs propos et à leurs entremises une extrême attention. Durant toute sa vie, ce vieux bohème mécréant et salace, d’une verdeur et

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