Les Décombres
cagots qui avaient été assez couards ou assez imbéciles pour obéir au chantage théologal d’un vieux sapajou de politicien en soutane blanche.
Il est vrai que ces alléluias avaient surtout une cause pondérable : on comptait beaucoup, pour franchir quelques échéances pénibles sur les prochains abonnements des papistes reconquis.
* * *
Durant ces derniers jours de l’entre-deux guerres, pleins des décombres de tant d’entreprises manquées, ne conduisant qu’aux lendemains les plus glacés et les plus noirs, je dressais le bilan de cette vieille Action Française, qui s’en allait par morceaux avec la dislocation d’un monde.
S’il y avait eu pour la France des espoirs de révolution autoritaire, l ’Action Française les avait tous tenus dans ses mains. Mussolini, Hitler auraient pu lui envier, à leurs débuts, ses troupes de l’après-guerre, les trois quarts des étudiants du pays, ces milliers d’hommes du peuple, d’officiers, d’anciens combattants. Elle avait le prestige de ses campagnes, de ses prophéties réalisées, de ses écrivains, de ses orateurs, de ses doctrines originales et vibrantes que confirmait avec éclat la mise à l’encan de notre victoire. J’ai dit comment, selon les meilleurs juges, elle s’était sottement égarée dans le bourbier électoral. Mais que cette explication fût la clef de tout le reste ou simplement accessoire, qu’elle fût superficielle ou profonde, qu’il y en eût peu ou beaucoup d’autres ensuite, en tout casl’ Action Française avait échoué sur toute la ligne.
Elle nous avait offert la critique la mieux construite, la plus pertinente, la plus habilement articulée de la démocratie tout entière, hommes, lois, société, éducation, justice. Elle avait surtout, par la pensée de Maurras, relié cette critique à des constantes éternelles de l’humanité et de l’histoire, de la condition véritable des mortels si l’on préfère, dissimulées longtemps sous le fatras du XVIII e siècle et des romantiques. Ainsi, la tâche antirépublicaine était terminée, les principes égalitaires et libertaires brisés en menus morceaux, leurs racines les plus profondes déterrées jusque dans la pensée de cent illustres bonzes.
C’était un imposant travail. Mais quoi ! Tous les matériaux en existaient épars, bien avant l ’Action Française.
Nous étions des milliers de garçons, antidémocrates de naissance. Sansl’ Action Française, n’aurions-nous pas fait cette critique nous-mêmes, plus sommairement, mais beaucoup plus pratiquement ?
Cet étrange parti, à la façade longtemps menaçante, n’avait jamais eu le sens, politiquement décisif, des alliances fécondes et nécessaires. Ses chefs s’étaient toujours signalés, au contraire, par un formalisme pointilleux, une intransigeance sur les doctrines et les disciplines qui rappelaient singulièrement les plus mesquines querelles de leurs adversaires, radicaux et sociaux-démocrates, sans l’emploi roué que ces derniers savaient en faire. Son histoire était semée ainsi d’un chapelet continu de dissidences, et l’addition de ces forces perdues stupéfiait.
Maurras, catholique sans foi, sans sacrements et sans pape, terroriste sans tueurs, royaliste renié par son prétendant {14} , n’avait été en fin de compte que l’illusionniste brillant de l’aboulie. Il avait rendu son antisémitisme même inopérant par les distinctions dangereuses, la porte ouverte au « Juif bien né », tant de nuances que lui suggérait uniquement son horreur du racisme, seul principe complet, seul critère définitif, mais marqué d’une estampille germanique. À l’action, cette figure de sa rhétorique dont je parlais tout à l’heure, il avait assigné un but inaccessible, avec défense formelle d’en concevoir un autre, même intermédiaire. Il possédait ainsi la meilleure certitude de n’être jamais importuné par elle et par ses mécanismes, pour qui n’existait aucune place dans sa pensée d’abstracteur phocéen.
Qu’il se fût reposé, pour tout ce qui concernait l’action sur une borne, un bœuf mérovingien tel que l’excellent Pujo, n’était-ce point d’ailleurs une solide assurance prise contre tout risque même accidentel d’action ?
Maurras, volontiers platonicien, aura été le révolutionnaire platonique au sens le plus inutilement cérébral du mot.
J’écrivais plus haut que l’histoire del’ Action Française ne serait pas moins
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