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Les Décombres

Les Décombres

Titel: Les Décombres Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Lucien Rebatet
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comportait.
    Le journal de Maurras accusait sans répit et non sans d’excellentes raisons les modérés de toute espèce d’endormir les nationaux, de les faire moisir sous cloche, pour le grand bénéfice de la Troisième Putain. Mais ce n’était qu’une jalousie de boutique, une dispute de clientèle. Dans la réalité, l’ Action Française n’a pas moins paralysé ou garé ses militants que toutes les autres ligues de pieds-gelés et de pisse-froid. Ses torts ont été plus graves, car les hommes qu’elle chambrait ainsi étaient les meilleurs.
    De leur patriotisme ardent, elle a fait trop souvent un chauvinisme étriqué et archaïque. Elle a professé ex cathedra sur l’Allemagne des notions très souvent erronées et quelquefois purement conventionnelles. La politique franco-allemande qu’elle inculquait à ses disciples avait été très tôt après la guerre vaticinante, parfaitement chimérique dans l’état de nos forces, à courte vue, considérant toujours le monde d’après un gabarit suranné, voulant ignorer les bouleversements irrémédiables entraînés par le massacre de quatre ans. Elle enferma ainsi durant des années maints esprits dans des compartiments étouffants, dont ils ont eu le plus grand mal à sortir, quand ils en sont sortis.
    Beaucoup d’hommes jeunes de ce temps, pour avoir passé par les mains del’ Action Française, sont demeurés désabusés, désorientés, ayant traversé trop de rêves. Nombre de ses exclus, de ses évadés, qu’elle a poursuivis de son talent le plus aiguisé, ont traîné après eux des casseroles d’épithètes poivrées qui les discréditaient le plus souvent sans la moindre justice. D’autres encore, à qui plus d’un de mes amis et moi-même ressemblons comme des frères, elle a fait les spectateurs clairvoyants d’une tragédie, mais des spectateurs impuissants, à qui elle barrait l’entrée de la scène.
    Était-ce là une saine école de politique ?
    Certains de ses plus justes principes ont pu connaître une grande fortune dans le monde. La belle jambe que cela nous fait ! Jusqu’ici, ils sont restés lettre morte pour le gouvernement de la France, qui seul nous importait.

CHAPITRE VII -
DUELS DE COCUS
    Il m’avait suffi de quelques semaines de travail quotidien àl’ Action Française pour me faire comprendre à quel point l’anarchie et la routine y étaient irrémédiables.
    J’en découvrais des détails qui jusque-là m’avaient échappé. Maurras consacrait chaque nuit deux énormes et illisibles colonnes de son article à une certaine rubrique « De nos amis à nos amis ». Il s’y affirmait tenu par ses obligations de quêteur, par la nécessité de rappeler aux militants leurs devoirs financiers, de congratuler les souscripteurs et de provoquer ainsi leur généreuse récidive. Mais en plomb, en ratures, en paie d’ouvriers, en frais de retard, chacune de ces chroniques alimentaires dévorait deux fois les subsides qu’elle pouvait rapporter. Cela touchait au délire.
    Tout allait à l’avenant. Les rédacteurs dont j’avais à diriger l’équipe croupissaient dans une paresse sereine. Pourquoi eussent-ils cherché à la secouer ? Ils étaient appointés ridiculement, la politique des salaires, dans la maison de « l’Avenir de l’Intelligence », consistant à payer 150 francs par semaine la critique littéraire et à engraisser fastueusement les chauffeurs, les clicheurs et les balayeurs. Ils étaient mieux placés que personne pour connaître la vanité de tout effort dans l’orbe de Maurras. Le plus cossard de tous, le plus fantomatique était certainement Talagrand, dit Thierry Maulnier, traînant son long corps d’escogriffe à lunettes avec une mine indicible d’ennui. Assez bon connaisseur en matière de lettres, il venait de terminer une Introduction à la Poésie française, trop abstraite, mais ingénieuse. Il était chargé àl’ Action Française de tout un service de dépêches sans y consacrer plus d’un quart d’heure par jour. À l’instar de Maurras, les secrétaires de rédaction ayant à leur tête un charmant funambule, Bernard Denisane, se gardaient d’apparaître au « marbre » avant minuit. Le successeur de Bainville à la politique étrangère, un aimable fantaisiste du nom de Le Boucher, entreprenait à deux heures du matin, à coups de citations piochées dans les manuels de l’École des Sciences Politiques, un commentaire à des événements de

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