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Les Décombres

Les Décombres

Titel: Les Décombres Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Lucien Rebatet
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l’avant-veille. Tout le reste allait à l’avenant. La confection entière du numéro était en fait abandonnée à un ou deux ouvriers d’ailleurs plus entendus dans leur besogne que les soi-disant journalistes, et surtout au chef d’atelier, mon ami Louis Blin, dont on voit la barbe en pointe, face à celle de Maurras, dans une photographie célèbre, superbe cabochard, d’une humeur aussi intraitable qu’était infini son dévouement. Il se prévalait de celui-ci, non sans raison, pour renvoyer vertement Pujo à ses songes de loir s’il se permettait de risquer sur sa besogne un timide coup d’œil.
    Les deux poings au menton, durant des heures mortellement vides, je me demandais ce que je foutais encore parmi les extravagants vieillards du Boccador.
    * * *
    Mais tandis quel’ Action Française somnolait, le destin courait au pas de charge.
    Les Allemands, indulgents pour les malheureux défenseurs de la paix française, ont convenu qu’en s’emparant de la Tchécoslovaquie, Hitler nous mettait dans une bien épineuse position. Il est vrai.
    J’ai cependant une petite preuve qui me revient à la tête de ce que l’on aurait pu encore si on l’avait sérieusement pensé et voulu. Le lendemain de l’entrée des troupes du Reich à Prague, je faisais une causerie devant la section d ’Action Française du Vésinet. J’étais très agité, en proie à cette fièvre du possible et du probable qui s’empare si vite des journalistes dans les gros événements. J’avais mes poches remplies de dépêches encore inédites. Je devais parler des Juifs. Je crus bon, honnête cornard d’Aryen, pourtant averti, mais dix fois pris, dix fois refait, d’annoncer que je ne le pouvais plus, que le cas juif passait au second plan devant les nouvelles dont j’étais porteur. Je vis la déception allonger tous les visages. Je battis l’alarme de mon mieux, je m’évertuai à brosser un orageux tableau du pangermanisme en marche, de la guerre qu’il allait peut-être déclencher demain. Mais mon auditoire ne se dégelait pas. Ces honnêtes bourgeois, tous nos solides disciples, dûment catéchisés, se contrefichaient de Prague comme d’une coquille de cacahuète, dans la conviction où nous les avions mis que la Tchéquie était vouée à une déconfiture fatale et qu’elle ne valait pas l’oreille d’un tirailleur sénégalais. Quant aux pétroles roumains, puisque nous n’en avions que faire, pourquoi empêcherait-on les Allemands d’y puiser ?
    Les patriotes du Vésinet ne se sentaient aucun goût pour affronter les divisions hitlériennes. La chasse à l’ennemi juif leur paraissait bien autrement commode et fructueuse. L’arrivée des S. S. à Munkatchevo les dérangeait beaucoup moins que celle d’un nouveau dentiste hébreu à leur porte. Ils étaient d’une impeccable logique, tandis que leurs informateurs déraillaient.
    De Dunkerque à Perpignan, nous aurions encore pu réunir beaucoup de leurs semblables. Mais les cadres du nationalisme pacifique s’effritaient. Notre combat durait trop, et sur nos adversaires de plus en plus nombreux et frénétiques, nous ne marquions toujours aucun avantage qui pût nous réconforter.
    C’eût été cependant, ou jamais, le moment d’affirmer une froide et lucide politique, de démasquer la grande pensée : l’orient slave à l’Allemagne, elle y a droit, nous nous en lavons les mains, et ce sera tant mieux pour l’Europe. Mais l’heure venue d’en faire ouvertement la doctrine de la France, nos nerfs ébranlés vibraient sous l’empire d’un sentiment, d’une image. Moi-même, j’avais été obsédé plus de deux jours par la photographie d’un convoi d’artillerie allemande en Slovaquie, sous un ciel de neige, s’enfonçant au trot de ses grands chevaux on ne savait plus où vers l’Est.
    Maurras, tout occupé à montrer que la disparition de la Tchéquie n’aidait aucunement une entreprise militaire, nous donnait bien chaque matin son exemple de sang-froid. Mais sa vieille leçon d’antigermanisme nous remontait à la tête par bouffées. Quel sens cet antigermanisme conservait-il, si dans de telles journées il baissait pavillon ? On nous rabâchait : « Si vous laissez les Allemands se tailler un empire jusqu’en Russie, ils vous retomberont ensuite sur le dos avec un poids double, et ce sera l’écrasement. Non, on ne peut leur laisser faire un pas de plus. » Nous scrutions notre conscience, en braves hommes de

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