Les Décombres
résolu de septembre ! Il vient de nous rabrouer, parce que nous nous obstinions, avec notre ami Cousteau, expert des affaires américaines, à traiter Roosevelt de faux frère et de vieille bête. Il estime que Roosevelt est désormais infiniment précieux, que lorsqu’il nous enverra ses avions et ses canons, nous lui tresserons des couronnes, que quiconque peut nous servir contre l’Allemand est tabou, que l’allié juif lui-même doit être ménagé. Et voilà le terme du patriotisme lorrain.
Cette versatilité de Gaxotte est pour moi et plus d’un de nos amis une noire déception. Un vrai politique ne saurait être sujet à ces caprices lunaires, chanceler ainsi sur ses bases au plus fort du combat. Gaxotte était le meilleur, le plus écouté, le plus connu de nous tous. Il nous faut maintenant le renier dans notre cœur.
* * *
La grande querelle du moment est pour ou contre l’alliance russe. C’est le champ clos où l’on s’affronte le plus rageusement. On y appelle tout à la rescousse, le droit, la géographie, l’histoire, le pétrole, la morale, Raspoutine, les Baltes, l’Ukraine autonomiste, l’amiral Avellane et les Karamazoff.
Les arguments des nationaux ne manquent pas de poids. Ils jugent sur la réalité soviétique, faite de cautèle orientale, de haine pour nos vieilles sociétés. Ils n’ont pas de peine à demander sur quelle frontière l’U. R. S. S. pourrait bien attaquer l’Allemagne, puisqu’elle ne lui est contiguë nulle part. Ils savent la répugnance que le communisme inspire à ses proches voisins, et que la Roumanie comme la Pologne redoutent une telle assistance à l’égal du pire fléau. Ils n’ont pas oublié les rapports réguliers que Moscou a toujours conservés avec Berlin, et grâce aux documents de Reinach-Hirtzbach, ils pourront annoncer, trois mois à l’avance, la conclusion du pacte germano-stalinien.
Ils se trompent sur le potentiel de l’Armée rouge avec une lourdeur digne d’un breveté du Deuxième Bureau. Ils écrivent et disent tous, sur ce sujet – ce que j’ai moi-même écrit, dit et plus encore pensé – un certain nombre de sottises qui seront propres à leur inspirer quelques salutaires réflexions sur la faillibilité des meilleurs prophètes lorsqu’ils ne descendent pas des dieux. Leur erreur n’est pas aussi monumentale qu’on pourrait le prétendre. Ils ont raison sur l’incurie slave, aggravée par la gabegie du marxisme d’État. L’avenir montrera qu’avec la masse inouïe d’hommes et de matériel dont ils disposent, les Soviets auraient dû en bonne logique, écraser l’Occident, s’ils n’avaient été justement les Soviets, c’est-à-dire de grossiers barbares. Mais les antirusses de chez nous demeurent d’une ignorance vraiment étrange sur l’énormité de cette masse. Avec tout ce qu’ils connaissent de la férocité stalinienne, ils ne soupçonnent pas ce fantastique asservissement de cent soixante millions de misérables automates aux tours d’obus et aux chars du tyran. C’est cependant un phénomène dont la réalité pèse un peu plus dans la balance que les plaisanteries sur les parachutistes et les moustaches de Boudienny.
Les Moscovites de Paris obéissent avant tout à cet irrésistible penchant pour le marxisme que j’ai déjà décrit et qui émeut sans exception toutes les bedaines démocratiques. Les zozos tricolores suivent en grosse troupe, conquis par les raisons militaires du cavalier Kerillis, mêlant harmonieusement dans leurs espérances patriotiques le sabre, le goupillon, la faucille et le marteau.
Cette pente d’affection est le grand ridicule du clan russe. Il ne s’imagine point autrement que chéri et choyé de Moscou. Du ministre au métallo, il tient l’U. R. S. S. pour sa sœur de pensées. Sur la barricade de l’antifascisme, sa place est réservée, une place d’honneur.
Pourtant, dans l’absolu, il s’en faut de beaucoup que le plan des Moscoutaires soit aussi dérisoire que ses adversaires le prétendent. C’est par l’exécution qu’il péchera grotesquement. En soi, il mériterait au moins une réfutation plus serrée. Mais il faudrait alors lâcher les mots prohibés. Les démocrates ourdissent contre Hitler une coalition monstre. Il est de bonne guerre d’y convier la Russie, en remettant à son poids énorme le soin d’entraîner ses voisins. Il n’est pas interdit de se vouer frénétiquement à un dessein aussi vaste, qui réunirait
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