Les Décombres
servaient à resserrer les plus infâmes confréries maçonniques, à exécuter une entreprise inespérée de dédouanement. Toute la canaille de 1936, du Front Populaire, des Loges, des synagogues, ayant enfin muselé ses adversaires au nom des devoirs sacrés, se réinstallait hardiment dans ses fonctions et ses prérogatives. En un tour de main, la censure était devenue une annexe de la Ligue des Droits de l’Homme et du Grand Orient. Depuis quinze jours que le canon tonnait, la grande affaire de nos hommes d’État avait été le remaniement du cabinet que les circonstances permettaient de s’offrir, sous la couverture rituelle de l’union nationale. On avait pu remettre ainsi en circulation le nom de Léon Blum dans la liste des ministrables, sans que le plus menu souffle d’opposition se levât. Le grand ministère tricolore s’était constitué enfin par la rentrée en scène d’une des plus burlesques nullités, d’un des plus stupides malfaiteurs de la République, Yvon Delbos. Georges Bonnet, le seul homme raisonnable de la veille, se voyait limogé, et l’on offrait son fauteuil à l’échine d’une venimeuse et obtuse crapule, le belliciste chrétien Champetier de Ribes. Choix particulièrement opportun : il ne nous restait plus d’autre liberté de manœuvre diplomatique que du côté de Mussolini. Champetier de Ribes, antifasciste haineux, en exécration à Rome, claquait derrière lui la porte italienne à grand et insultant fracas. La bande traîtresse et imbécile du Quai d’Orsay raffermissait son pouvoir.
« Nous sommes depuis quinze jours, écrivais-je, dans une guerre de politiciens, et les pires dont notre affreux régime ait accouché. Nous avons été entraînés dans cette tragédie par tout le poids, avec tout le poids de leur ignorance, de leur bêtise, de leur sectarisme. Lancés dans le gouffre, nous ne parvenons pas à nous débarrasser de ce boulet pour remonter à la surface, être libres de nos mouvements, voir clair. Nous réunissons toutes les conditions pour descendre jusqu’au fond. »
Quand on brossait devant eux ce tableau politique et qu’on s’en indignait, d’honorables imbéciles, représentant une légion de citoyens, répondaient :
— Peut-être. Mais nous ne voulons savoir qu’une chose : la France est en guerre.
— Dites donc plutôt, tas de cornichons, qu’elle est allée se fourrer le plus stupidement du monde la tête sous le couperet. Le vrai devoir patriotique serait de découvrir un moyen de l’en tirer.
Nous étions quelques-uns à savoir que ce moyen ne pouvait porter qu’un nom, la paix, et que cette paix n’allait point tarder de nous être offerte par le chef victorieux du Reich. Je notais le 17 septembre dans mon cahier ces lignes qu’on me permettra de recopier avec une légitime satisfaction :
« Avec la clique sanglante qui nous mène en trébuchant et bafouillant à d’affreuses catastrophes, le moindre mal serait certainement de répondre aux prochaines propositions de paix de Hitler. S’attaquer au germanisme, le réduire à merci, c’était fort bien. Mais l’incompétence, le sectarisme des politiciens ne nous le permettent pas… Puis, notre retraite serait un échec de taille à créer un remous intérieur terrible pour le régime. Beaucoup d’espoirs pourraient renaître. Et cet échec ne serait pas, malgré tout, une défaite militaire ou une saignée fatale. »
Mais je savais trop bien que ces conséquences mêmes rendaient purement chimérique une telle issue. Il n’était dans le pouvoir d’aucun citoyen de mettre en œuvre ce patriotisme pacifique, le seul qui fût utile, ni même de lui donner un commencement d’expression.
CHAPITRE XI -
« POURQUOI TE BATS-TU ? »
Les événements se déroulaient avec cette rigoureuse logique qui rendait leur prédiction si aisée pour les « Hitlériens français » de mon espèce. Varsovie se cramponnait dans son agonie. Ces Slaves se retrouvaient dans le romantisme désespéré comme dans leur élément familier. Ils se mettaient à savoir mourir, dès l’instant où cela devenait tout à fait inutile. Ils ne savaient même rien d’autre. Les Russes entraient en Pologne à leur tour, précipitant encore le dénouement.
Les propositions de paix du Führer ne se faisaient pas attendre. La presse anglaise leur trouvait une bien suave explication. Hitler avait refusé la paix en août parce qu’il possédait alors l’avantage de la force. Il
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