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Les Décombres

Les Décombres

Titel: Les Décombres Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Lucien Rebatet
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souhaitait la paix maintenant qu’il avait des adversaires plus forts que lui.
    Les Varsoviens, en effet, pouvaient en témoigner.
    J’observais que Hitler s’en prenait uniquement aux ministres anglais, ne parlant de la France que pour répéter qu’il n’avait point de revendications à son endroit. Il la situait ainsi fort exactement à sa vraie place de domestique docile. Goering quelques jours auparavant tenait déjà le même langage. Nous étions quelques-uns à Paris qui ne disions rien d’autre en somme. Il y avait tous moyens de s’entendre. Les démocraties les repoussaient avec le plus majestueux mépris.
    Ce noble geste accompli à la face du monde, les justiciers rentrés dans leurs conseils se trouvaient devant le plus singulier embarras. On se battrait donc irrévocablement, sans trêve ni merci. On en prenait le serment farouche. Mais cela ne réglait point deux fichus détails qu’il était véritablement difficile de négliger : on ne savait plus du tout où l’on pourrait se battre et guère davantage pourquoi l’on se battait.
    Le premier point, devant le peuple, pouvait être encore escamoté dans la grande nébuleuse du secret militaire. Le second réclamait impérieusement d’être éclairci. On avait entrepris la guerre pour garantir la Pologne : la Pologne venait de défunter de mort subite, expédiée au trépas par ses valeureux protecteurs. Quels desseins les altières patries des « hommes libres » poursuivaient-elles donc encore ?
    Certain apôtre, à Radio Stuttgart, répandait bien sur ce sujet des propos fort cohérents et volontiers écoutés, où le « business » anglais tenait invariablement la vedette. On ne pouvait laisser sans réplique ces impertinences. Les voix officielles y paraissaient assez malhabiles. Le malheureux Daladier, avec son sens infaillible de la gaffe, éprouvait le besoin de nous avertir qu’il n’était pas le « conducteur de masses fanatisées » (hélas ! nous nous en doutions) et s’élançait dans un parallèle entre le moral du soldat français « sachant pourquoi il combattait » et du soldat allemand, supposé ignorant ou dévoré d’incertitude.
    Autant valait parler de cornes chez Boubouroche. Mais nos glossateurs professionnels, heureusement, étaient là. Dès l’instant qu’il s’agissait de cogiter à vide, de brasser les conditionnels et de promouvoir une querelle de nuages, on pouvait leur faire pleine confiance.
    * * *
    On sait que dans cette épique bouffonnerie mon vieux maître Charles Maurras devait se distinguer au premier rang. J’ai dit que le déclenchement de la catastrophe l’avait trouvé écrasé et révulsé de dégoût. Mais bientôt nous le vîmes se ragaillardir, son œil rallumé, sa barbe relevant de la pointe. Maurras venait de ressortir de son tiroir à théorèmes la règle d’or de la division des Allemagnes.
    La victoire anglo-française ne pouvant être mise en doute, il importait de savoir à quoi on l’emploierait. Ce serait à décoller « les tronçons du serpent », à refaire l’Allemagne des traités de Westphalie. Selon sa méthode accoutumée, Maurras, par les voies d’une inflexible logique, rejoignait dans les chimères les songe-creux les plus attendrissants. Avec un pareil objectif, le maître pouvait attendre les événements de pied ferme. Il avait du pain sur la planche. Dix ans de guerre ne seraient point de trop pour l’aider à pourfendre ses armées de contradicteurs, à argumenter avec les incrédules, à rallier les tièdes, à entretenir les convaincus.
    Outre la France, il s’agissait d’endoctriner quelque quarante-cinq millions de Britanniques dont deux cent cinquante à trois cents avaient bien entendu prononcer les noms de Bainville et de Maurras, de se faire en Amérique de sérieux alliés, de convertir aux postulats de la politique pure toute la banque et tout le négoce de l’univers anglo-saxon, de neutraliser la juiverie entière, de lui arracher tous les bénéfices de sa guerre sainte, enfin de susciter les consentements et les complicités indispensables parmi quatre-vingts millions de Germains.
    Ce fut une campagne grandiose. Il y avait les découpeurs intégraux et les découpeurs sous conditions. M. Maurice Sarraut, de La Dépêche de Toulouse, voulait bien prélever une République rhénane, mais hésitait à charcuter l’ensemble du corps allemand. Maurras faisait le compte des rondelles nécessaires, et comme l’arithmétique

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