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Les Décombres

Les Décombres

Titel: Les Décombres Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Lucien Rebatet
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lieutenant de cavalerie maurrassiens, ne vivant plus que pour les délices du prochain baroud, ne voulant plus rien connaître d’autre. Certains n’étaient plus des gamins du genre « Pour Dieu et pour le Roi ». Ils avaient eu du jugement. J’admirais qu’ils fussent aussi aisément parvenus à chasser comme des mouches toute idée de leur cervelle, que les effroyables dilemmes de la bataille impossible, de la guerre conduite par les fossoyeurs de la France et les Juifs eussent subitement disparu pour eux, fondu devant l’enivrante perspective d’une nuit de patrouille à plat ventre.
    J’essayais de trouver quelque confident de mes tourments : « Voilà : la guerre a été déclenchée par les plus affreux pitres du plus affreux régime juif et démagogique. Il paraît qu’on ne doit souhaiter que la victoire. Alors, nous devons encore sauver une seconde fois la République, et une République bien pire qu’en 1914 ? » Mais les maurrassiens ne voulaient plus entendre ces propos déprimants et, pour en dissiper les miasmes, jetaient avec entrain au vent des nouvelles de la « paix Bainville », la grande paix des découpeurs. Cela marchait à merveille. La maréchale Joffre allait sans doute accepter de présider le comité. Comme il y avait grande pénurie de blessés avec cette guerre si benoîte, les ouvroirs de la rue du Bac allaient prendre sérieusement en main l’évangélisation bainvilienne du troupier : une tablette de chocolat, un exemplaire des Conséquences politiques de la paix, une paire de chaussettes et l’ Histoire de deux peuples.
    Pujo, lui, m’avait fait cette magnifique réponse : « Je crois aux vertus moralisatrices de la victoire. » Et comme je restais quelque peu suffoqué, il ajouta ce trait : « Mais oui. Voyez. En 1919, nous avons tout de même eu le Bloc National. »
    * * *
    Chaque jour nous enrichissait d’une nouvelle insanité. La fameuse rubrique de la faim allemande connaissait naturellement une vogue extraordinaire. Durant la première semaine de la guerre, Le Temps n’avait pas hésité à imprimer dans ses majestueuses colonnes que faute de lait en Allemagne, on avait commencé à traire les femmes. L’imminence d’une crise des savons à barbe dans le Reich était jugée grave à ce point que les agences de presse la reproduisaient tous les trois jours. La fameuse tartine de confiture triomphait, mais infiniment perfectionnée depuis 1914, devenue scientifique. Des sommités médicales d’Amérique, armées de balances à régime, venaient, nous annonçait-on, de nourrir une famille new-yorkaise à une vitamine, à une calorie près comme une famille bourgeoise de Hambourg. Après vingt-quatre heures de cette expérience, la famille yankee ne pouvait plus monter les escaliers de métro.
    Des millions étaient dépensés chaque jour en rédaction, câbles, télégrammes, fils spéciaux, clichages, encres d’imprimerie pour nous apprendre la nouvelle composition des boyaux de saucisses qu’imposaient à l’Allemagne les rigueurs de la guerre, la récupération à Berlin des épingles à cheveux pour conjurer la disette du fer et les terribles restrictions de crème fouettée à Vienne.
    Dans un genre plus grave d’apparence, mais en fait d’une fantaisie bien davantage dévergondée, nous recevions la pluie des statistiques, décompte des pétroles, de l’acier, du caoutchouc, des huiles, du bois dont l’Allemagne disposait encore, qui lui manqueraient bientôt ou qui lui manquaient déjà. Ces travaux étaient péremptoires. Ils avaient simplement le tort de se démentir entre eux pour des bagatelles de huit ou dix millions de tonnes.
    Mais personne ne prenait garde à ces détails. Le blocus triompherait. Il avait déjà remporté ses premières victoires.
    C’était la doctrine guerrière de ceux qui ne sont et ne daignent jamais être soldats, des Juifs et des Anglais, la guerre bancaire et marchande, illustrée par l’infantilisme bruyant de la presse à la mode américaine. M. Jean Fayard, lieutenant interprète dans un état-major de D. C. A. britannique, me traduisait nonchalamment ces vues des Lloyds et de Wall-Street : « Bah ! mon cher. C’est une guerre qui se fera sans qu’on tire un coup de canon. » Selon l’optique du Fouquet’s et des autres bars dans le train, les Allemands étaient des pouilleux qui avaient la grossière outrecuidance de se mesurer avec les seigneurs de la livre et du dollar, et allaient

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