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Les Décombres

Les Décombres

Titel: Les Décombres Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Lucien Rebatet
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se faire joliment tirer les oreilles.
    Les Juifs et les Anglais, habitués à tout acheter, ne doutaient pas qu’ils pussent aussi acheter une victoire. (Cela réduisait d’ailleurs à un rôle diablement subalterne les cinq millions de Français qui se contentaient de remplir les casernes, de tenir les tranchées pour quinze sous par jour et au besoin de se faire tuer, bref de vaquer à toutes les corvées inférieures, tandis que les maîtres, au milieu d’un confort raffiné dû à leur précellence, menaient les coups décisifs et concluaient les marchés fructueux. Le mercenaire obscur serait toujours trop largement rétribué.)
    L’esprit public était si bien gavé de ces indécentes turlutaines qu’il eût fallu conduire une véritable campagne pour faire entendre aux Français que cette guerre serait obligée de comporter, comme les précédentes, des obus qui éclateraient, des rafales de mitrailleuses et de grands tas de morts. Mais seuls Maurras, dans un des derniers éclairs d’une raison qui allait s’éteindre pour jamais, et deux ou trois de ses disciples, tel que votre serviteur, osaient entamer cet austère sujet. Jacques de Lesdain, dans un article de L’Illustration, le seul véridique sans doute qui eût paru sur cette matière pendant les dix mois de nos hostilités, rappelait avec une grande sagacité que la guerre totale, en Allemagne, pesait sur le civil d’un poids inconcevable pour nous mais que, dûment dressé, il supportait cependant. Nous prêtions au Reich des besoins civils qu’il n’avait plus depuis le premier jour de la guerre. Une économie rigoureusement militaire taillait d’abord pour l’armée la part du lion dans toutes les ressources, lui assurait largement et pour un temps indéterminé tous ses moyens d’action. La circulation des voitures privées, des camions de l’industrie, serait entièrement supprimée si les besoins des corps motorisés l’exigeaient. L’ Action Française exceptée, pas un journal n’avait pipé mot de cette étude si digne de méditation.
    Je rappelais à mon tour qu’à la fin de l’hiver 1918, après trois ans et demi d’une guerre terrible, alors que le blocus réduisait à une quasi-famine la population civile de l’Allemagne, Ludendorff surveillait avec le plus grand soin les rations des troupes sur le front de l’Ouest. Quelques semaines plus tard, ces troupes pouvaient encore fournir des assauts si redoutables qu’ils nous mirent à deux doigts de notre perte. Ma voix n’avait pas davantage d’échos.
    Ces avertissements, ces rappels des sévères sacrifices qu’il faudrait bien accomplir si l’on voulait réellement que la guerre se fît, étaient fort peu goûtés du monde officiel. Les vrais démocrates y subodoraient même une espèce de relent de sous-hitlérisme, de fascisme mal camouflé. Le gouvernement se donnait pour tâche essentielle d’ajuster la guerre aux mœurs électorales, de l’arranger sur mesures pour le peuple qui « méprisait les servitudes nazies », qui cultivait les libertés humaines, à savoir les quarante heures et le pernod. Il importait que l’on vît et que l’on fît cette guerre le moins possible, sauf, bien entendu, sur le papier et dans les œuvres d’éloquence, où, pour rétablir l’équilibre, la plus farouche énergie était toujours de rigueur.
    Il en résultait d’ailleurs, selon l’infaillible loi de ce régime, une inégalité sans précédent. Des pères de famille de quarante ans sonnés étaient dans les lignes d’Alsace, et des gamins qui n’avaient même pas terminé leur temps légal rappelés dans les usines de l’arrière avec super salaire.
    Le chapitre où jamais, au gré de leurs maîtres, les journalistes officieux ne se montraient assez chauds, émus, abondants, était celui de nos chers amis anglais. On pensait probablement décupler les quatre divisions débarquées par l’Angleterre en les faisant décrire dix fois par chaque journal.
    Pendant qu’on se livrait chez nous à ce concours de servilité extasiée, une petite dépêche en cinq lignes perdue dans la dernière heure nous confirmait le simulacre odieux de la conscription anglaise. On nous avait entre autres avertis le troisième ou quatrième jour de la guerre qu’elle ne toucherait personne avant le mois de mars. Beaucoup de journaux britanniques jugeaient ces mesures encore excessives. Ils estimaient que la sage Angleterre ne devait point retomber dans ses erreurs de 1914-18,

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