Les derniers jours de Jules Cesar
se trouvaient encore sur la table. Il n’y
avait pas touché.
Portus
Ostiae, Id. Mart., ad finem secundae vigiliae
Port
d’Ostie, 15 mars, fin du deuxième tour de garde, minuit
Antoine arriva au port, escorté par deux gladiateurs qui se
tinrent à distance.
La passerelle d’un bateau fut baissée et il s’y engagea. La
mer inerte du bassin portuaire dégageait une odeur de décomposition qui lui
donna la nausée. L’embarcation était sur le point de larguer les amarres. La
reine s’enfuyait. Un monde s’émiettait.
Cléopâtre surgit de sa cabine, à la poupe.
Royale jusque dans cette situation, hautaine, gainée dans
une robe de lin plissé et transparent, le front ceint d’un fin diadème en
feuilles dorées, les bras nus, les lèvres rouges, les yeux étirés par le fard.
« Je te remercie d’être venu me dire au revoir. »
Elle s’exprimait tout bas, mais sa voix était parfaitement audible dans le
grand silence de la nuit.
Ils étaient seuls sur le pont, malgré le départ imminent.
« Où est-il maintenant ?
— Dans sa demeure, répondit Antoine. Veillé par ses
amis.
— Ses amis ? César n’avait pas d’amis !
— Nous avons été surpris. Personne ne pouvait imaginer
que cela se produirait ainsi.
— Mais tu as été prudent, comme je t’en avais
prié. » Le ton de la reine avait des accents ironiques comme celui de tous
les puissants qui se plaisent à avoir corrompu ou asservi quelqu’un. « Que
va-t-il se passer ?
— Les conjurés sont déjà en difficulté. Ils n’ont ni
plan ni projet, ce sont des naïfs, des incapables. Je suis le consul survivant.
J’ai convoqué le sénat demain et je les ai poussés à s’y présenter. Ils seront
réduits à l’impuissance avant que les cendres de César soient déposées dans
l’urne. Il y aura un nouveau César, ma reine.
— Quand cela arrivera, viens me retrouver, Antoine. Tu
auras tout ce que tu as toujours désiré. »
Elle tourna les talons et disparut, aussi légère qu’un rêve.
Antoine descendit à terre.
L’embarcation s’écarta du quai. Elle fut bientôt engloutie
par l’obscurité. Un moment, on vit sa voile hissée sur le mât, flottant dans
l’air sombre comme un fantôme.
Chapitre XXI
Romae,
in templo Telluris, a.d. XVII Kalendas Apriles,
hora
secunda
Rome,
temple de Tellus, 16 mars, sept heures du matin
La séance, sous la présidence de Marc Antoine, consul en
charge, débuta dans une atmosphère tendue et glaciale. Les traits étaient
tirés, les regards pleins de rancune. Encore bouleversés, les césariens
bouillaient d’indignation et de rage. Les conjurés et leurs amis affichaient
une certaine vanité. Cicéron fut un des premiers à prendre la parole. Il était
absent le jour de la conjuration, mais son nom avait été prononcé dans le
désordre de l’attentat.
Il pouvait se targuer d’avoir déjoué autrefois la
conjuration de Catilina, et, s’il ne comptait pas au nombre des conjurés, il ne
voulait pas perdre l’occasion qu’ils lui offraient de jouer un rôle de premier
plan.
Il s’exprima en orateur éprouvé. Alors qu’il avait proposé
aux sénateurs un peu plus tôt de protéger César de leurs propres corps au cas
où il serait menacé et fait approuver cette proposition par un
sénatus-consulte, il chantait à présent les louanges des hommes qui l’avaient
massacré à coups de poignard, célébrait le courage des tyrannicides qui avaient
rendu sa liberté à la République, et sa dignité à sa suprême assemblée.
Le crime avait été perpétré à bon droit, le despote avait
subi la punition que réservait la loi de l’État. Les conjurés devaient être
lavés de l’accusation de crime pour la simple raison qu’ils avaient agi à leurs
risques et périls pour le bien de tous. Il proposa donc de voter une amnistie
générale, qui fut effectivement votée malgré les murmures de désapprobation.
Mais il ne se montra pas satisfait pour autant. Après avoir échangé quelques
murmures avec Cassius, il reprit : « Il faut oublier au plus vite
cette période funeste, ces ténèbres de la République. Que le corps du tyran
soit enseveli de nuit par les siens au plus vite. Cette autorisation est
accordée en signe de pitié pour un mort, rien de plus. »
Un bruissement parcourut les rangées.
Le tour des césariens était venu, et Munacius Plancus
déclara : « La postérité établira si l’événement qui s’est
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