Les Derniers Jours de Pompéi
penses-tu pas alors que celui qui est réellement bon a raison de sacrifier son propre intérêt à son zèle pour la vertu ?
– Celui qui le fait s’égale aux dieux.
– Et tu penses aussi que le peu de bonheur qu’il obtiendra au-delà du tombeau sera proportionné à la pureté et au courage de ses actes ?
– On nous instruit à l’espérer.
– Embrasse-moi, ma sœur. Une question encore : tu es sur le point d’épouser Glaucus ; ce mariage peut nous séparer d’une façon plus irrévocable encore… mais je ne veux pas parler de cela… tu vas te marier avec Glaucus, l’aimes-tu ? Allons, ma sœur, réponds-moi par de franches paroles.
– Oui, murmura Ione en rougissant.
– Ne sens-tu pas que, pour l’amour de lui, tu renoncerais à toute vanité, tu braverais le déshonneur, tu affronterais la mort ?… J’ai entendu dire que, lorsque les femmes aiment, c’est toujours avec excès.
– Mon frère, je ferais tout cela pour Glaucus, et je ne croirais pas faire un sacrifice. Il n’y a pas de sacrifice, quand on aime, à souffrir pour celui qu’on aime.
– Assez : une femme aurait cette bonne volonté pour un homme, et un homme montrerait moins de zèle pour son Dieu ! »
Il cessa de parler. Sur sa figure animée brillait comme l’inspiration d’une vie divine ; sa poitrine se gonflait avec orgueil ; ses yeux étincelaient, son front était empreint de la majesté d’un homme qui se propose quelque noble action. Il se retourna pour chercher une fois encore les yeux d’Ione, empressés, attentifs, effrayés ; il l’embrassa tendrement, la pressa vivement sur son sein, et, un moment après, s’éloigna de la maison.
Ione demeura longtemps à la même place, muette et sans pensée.
Ses suivantes vinrent plusieurs fois lui rappeler que la journée avançait, et qu’elle avait promis d’assister au banquet de Diomède ; elle s’éveilla enfin de sa rêverie, et s’habilla pour le festin, non pas avec l’orgueil de la beauté, mais avec tristesse et mélancolie : la seule chose qui la réconciliât avec cette solennité, c’est qu’elle devait y rencontrer Glaucus, et qu’elle pourrait lui confier toutes ses alarmes, toutes ses inquiétudes au sujet de son frère.
Chapitre 3
Réunion élégante et dîner à la mode à Pompéi
Pendant ce temps-là, Salluste et Glaucus se dirigeaient à pas lents vers la maison de Diomède. Malgré ses mœurs, Salluste n’était pas dépourvu de qualités estimables. Il aurait été ami actif, citoyen utile, en un mot, un excellent homme, s’il ne s’était pas mis en tête d’être philosophe… Élevé dans les écoles où Rome, plagiaire des Grecs, écoutait avec recueillement l’écho de leur sagesse, il s’était pénétré des doctrines par lesquelles les derniers épicuriens corrompaient les simples maximes de leur maître célèbre. Il s’abandonnait au plaisir, et s’imaginait que le véritable sage était celui qui vivait le plus joyeusement. Cependant, il possédait beaucoup de connaissances ; il avait de l’esprit, un très bon naturel, et la franchise cordiale même de ces vices leur donnait l’air de vertus à côté de la corruption de Claudius ou de la mollesse efféminée de Lépidus. Aussi Glaucus le regardait-il comme le meilleur de ses compagnons… Salluste appréciait en retour les qualités élevées de l’Athénien ; il l’aimait presque autant qu’une murène froide ou une coupe du meilleur falerne.
« Ce Diomède est un vieux compère assez vulgaire, dit Salluste, mais il a de bonnes qualités dans sa cave.
– Et de charmantes dans sa fille.
– C’est vrai, Glaucus ; mais il me semble que celles-là ne font pas actuellement une grande impression sur vous. Je crois que Claudius désire vous remplacer dans ses bonnes grâces.
– Je ne m’y oppose pas ; au banquet de sa beauté d’ailleurs, aucun convive n’est considéré comme une musca {62} .
– Vous êtes sévère. Mais tout cela n’empêche pas qu’elle a dans sa personne quelque chose de corinthien. Ils feront un couple assorti, après tout. Nous sommes, en vérité, bien bons, nous autres, de conserver pour compagnon un joueur et un oisif de cette espèce.
– Le plaisir unit ensemble de singulières gens, dit Glaucus ; il m’amuse…
– Par ses flatteries… mais il se les fait bien payer… il jette de la poudre d’or sur ses éloges.
– Vous avez souvent fait allusion à son bonheur au jeu. Croyez-vous
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