Les Derniers Jours de Pompéi
d’entrée des prêtres, car l’heure du repas approchait, de ce repas appelé prandium, et dont l’heure correspondait à celle du déjeuner des modernes. Le blanc et gracieux temple brillait au soleil ; sur ses autels fumait l’encens et s’enlaçaient des guirlandes ; le prêtre jeta un long et triste regard sur cette scène : c’était la dernière fois qu’il la contemplait.
Il reprit son chemin et se dirigea vers la demeure d’Ione : car, avant que le dernier lien qui les unissait fût peut-être rompu, avant de se livrer au péril qui l’attendait le lendemain, il souhaitait de revoir encore la seule parente qui lui restât, sa plus tendre et sa première amie.
Il arriva chez elle et la trouva dans le jardin avec Nydia.
« C’est bien de ta part, dit Ione avec joie, d’être venu me trouver. Je désirais ta présence. Combien je te sais gré de ta visite !… Que tu as été maussade en ne répondant à aucune de mes lettres… et en refusant de venir recevoir l’expression de ma gratitude… Ah ! tu as contribué à me préserver du déshonneur ! Que peut te dire ta sœur maintenant pour te remercier ?
– Ma douce Ione, tu ne me dois aucune reconnaissance, car ta cause est la mienne. Évitons ce sujet ; ne parlons plus de cet homme impie, aussi odieux à l’un qu’à l’autre. J’aurai une prochaine occasion d’apprendre au monde la nature de sa prétendue sagesse et de sa sévérité hypocrite. Asseyons-nous, ma sœur. La chaleur du soleil m’a fatigué…, asseyons-nous à l’ombre, et, pour un peu de temps encore, soyons l’un pour l’autre ce que nous avons été jusqu’ici. »
Ils s’assirent sous un large platane, ayant autour d’eux le ciste et l’arbousier, les fontaines jaillissantes, et une verte pelouse à leurs pieds ; la cigale joyeuse, jadis si chère aux Athéniens, chantait gaiement dans le gazon ; le papillon, ce bel emblème de l’âme, dédié à Psyché, et qui a continué de fournir des images aux poètes chrétiens, riche des brillantes couleurs empruntées aux cieux de la Sicile {61} , voltigeait sur les fleurs d’été, fleur ailée lui-même ; dans ce lieu et devant cette scène, le frère et la sœur se trouvaient réunis pour la dernière fois sur la terre. On peut fouler encore la même place ; mais le jardin n’existe plus. Les colonnes ont été brisées ; la fontaine a cessé de jaillir. Le voyageur pourra chercher parmi les ruines de Pompéi la maison d’Ione. Elle est à peine visible ; je ne veux pas en indiquer les restes au touriste vulgaire. Celui qui aura plus de sensibilité que la foule, la découvrira aisément : quand il l’aura trouvée, qu’il garde comme moi le secret.
Nydia, les voyant assis ensemble, se retira à l’autre extrémité du jardin.
« Ione, ma sœur, s’écria le jeune converti, mets ta main sur mon front, elle en apaisera l’ardeur. Parle-moi aussi, car ta douce voix est comme la brise qui possède à la fois la fraîcheur et l’harmonie. Parle-moi, mais ne me bénis pas. Ne prononce aucune des formules que dans notre enfance nous considérions comme sacrées.
– Hélas ! que puis-je te dire alors ? le langage de l’affection est tellement uni pour nous à celui du culte, que les expressions deviennent froides et tristes, lorsqu’on en bannit toute allusion à nos dieux.
– Nos dieux, murmura Apaecidès avec un frisson. Tu oublies déjà ma requête.
– Ne faut-il te parler que d’Isis ?
– Du démon ! non, mieux vaudrait que tu fusses muette pour toujours, à moins que tu ne pusses… Mais cessons de parler ainsi… ne passons pas notre temps à nous disputer… ce n’est pas le moment de nous juger avec sévérité. Tu me regarderais comme un apostat, et moi, je serais plein de chagrin et de honte pour ton idolâtrie… Éloignons, ma sœur, de pareils sujets et de telles pensées. En ta douce présence, le calme se répand dans mes esprits. Je cède un instant à l’oubli lorsque mon front repose ainsi sur ton sein, lorsque je sens ton tendre bras autour de moi ; je crois que nous sommes encore enfants et que le ciel nous sourit à tous deux. Oh ! va, si j’échappe à n’importe quel danger, et qu’il me soit permis de te parler sur un sujet redoutable et sacré, puissé-je ne pas trouver ton oreille et ton cœur sourds à ma voix ! l’espérance que j’aurais pour moi-même ne balancerait pas le désespoir que j’éprouverais pour toi… Je vois en toi, ma
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