Les Derniers Jours de Pompéi
sœur, une ressemblance de moi-même plus belle, plus noble, plus aimable… Mais le miroir vivra-t-il toujours, et la forme sera-t-elle brisée comme l’argile du potier ? Ah ! non, non, tu m’écouteras. Te souviens-tu des campagnes de Baïes, que nous parcourions ensemble, en nous tenant par la main, cueillant les fleurs du printemps ? Puissions-nous, nous tenant encore par la main, entrer dans le jardin éternel, et nous couronner de l’asphodèle qui ne meurt pas ! »
Étonnée et confuse des paroles qu’elle ne pouvait comprendre, mais émue en même temps des larmes et du ton plaintif de son frère, Ione écoutait ces effusions d’un cœur plein et oppressé. Apaecidès était attendri lui-même au-delà de son humeur ordinaire, qui était morose et impétueuse : car les plus nobles désirs sont d’une nature jalouse ; ils envahissent, ils absorbent l’âme, et laissent souvent à leur surface une sorte d’aspérité. Ne faisant aucune attention aux petites choses qui nous entourent, nous paraissons farouches, impatients, lorsque des interruptions terrestres nous dérangent de nos rêves divins : on croit que nous sommes irritables et susceptibles. Comme il n’y a pas de chimère plus vaine que d’espérer qu’un cœur trouvera dans un autre une sympathie complète, on ne nous rend pas justice, et personne, pas même nos plus proches et nos plus chers amis, ne nous accorde même de la commisération. Quand nous sommes morts et que le repentir arrive trop tard, amis et ennemis s’étonnent en pensant qu’il y avait si peu à pardonner en nous.
« Je te parlerai donc de mes jeunes années ! dit Ione. Cette jeune aveugle te dira une chanson sur les jours de l’enfance. Sa voix est harmonieuse et douce, et cette chanson ne renferme aucune allusion qui te soit pénible.
– T’en rappellerais-tu les paroles, ma sœur ? demanda Apaecidès.
– Je le crois : car l’air, qui est simple, a dû les graver dans ma mémoire.
– Chante donc cette chanson toi-même. Mon oreille n’est point à l’unisson de voix étrangères, et la tienne, Ione, qui me fait souvenir du temps où nous vivions ensemble, a toujours été plus douce pour moi que les mélodies mercenaires de Lycie ou de Crète. Chante toi-même. »
Ione fit signe à un esclave qui se tenait sous le portique de lui apporter son luth, et chanta, lorsqu’on le lui eut donné, sur un air tendre et simple, les vers suivants :
LE REGRET DE L’ENFANCE
I
Le printemps a ses matinées
Pleines de pluie et de soleil
L’enfance, aux heures fortunées,
N’a pas sans cesse un jour vermeil.
Mais l’espérance, fraîche éclose,
Dore tout triste souvenir ;
Des nuages couleur de rose
Promettent un doux avenir.
II
Jusqu’en nos dernières années,
La joie encor peut refleurir ;
Mais nos larmes, plus obstinées,
Ont bien plus de peine à tarir.
L’orage a plus de violence,
L’arc-en-ciel est moins irisé
Avec les jouets de l’enfance,
Notre prisme, hélas ! est brisé.
Ione avait choisi ce morceau ayant autant de goût que de délicatesse, bien que le motif en fût mélancolique : car, lorsque nous sommes profondément tristes, l’accent de la gaieté offre un désaccord insupportable pour nous ; le charme le plus convenable est celui qu’on emprunte à la mélancolie elle-même ; les pensées sombres qu’on ne peut égayer peuvent du moins être adoucies ; elles perdent ainsi les couleurs trop crues de la vérité, et se fondent dans l’idéal. De même que la sangsue guérit un mal intérieur par une irritation extérieure, tirant à elle un venin dangereux, de même, dans les plaies de l’âme, on appelle à la surface le mal qui s’enfonce trop avant, et l’on change en une douce tristesse ses intimes douleurs. Apaecidès, cédant alors à l’influence de cette voix argentine qui lui rappelait le passé, et qui voilait à demi les douleurs du présent, oublia la source immédiate de ses inquiètes pensées. Il passa quelques heures à entendre chanter Ione et à causer avec elle ; et, lorsqu’il se leva pour la quitter, son esprit, doucement bercé, était devenu plus calme.
« Ione, dit-il en lui pressant la main, si tu entendais noircir et calomnier mon nom, croirais-tu au mal qu’on te dirait de moi ?
– Jamais, mon frère, jamais.
– Ne crois-tu pas, d’après ta foi même, que le méchant est puni après la mort, et que le bon est récompensé ?
– Peux-tu en douter ?
– Ne
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