Les Derniers Jours de Pompéi
tomba dans les bras des assistants.
« Il est en délire, dit l’officier avec compassion ; et, dans son transport, il a frappé le prêtre. Quelqu’un l’a-t-il vu aujourd’hui ?
– Moi, dit un des spectateurs. Je l’ai vu ce matin ; il a passé devant ma boutique et il m’a accosté. Il me paraissait bien portant et de sens rassis, comme le plus calme d’entre nous.
– Et il n’y a pas une heure que je l’ai vu, ajouta un autre, passant dans les rues et se parlant à lui-même avec d’étranges gestes, absolument comme vient de le dépeindre l’Égyptien.
– Confirmation du témoignage. Ce ne peut être que la vérité. À tout événement, il sera conduit chez le préteur. Cela fait vraiment pitié ! Si jeune et si riche ! Mais le crime est terrible ! Un prêtre d’Isis, en costume encore, et au pied de notre plus ancienne chapelle ! »
Ces paroles mirent sous les yeux de la foule toute la force du sacrilège que, dans le premier mouvement de sa curiosité, elle n’avait pas entrevue : ce n’était plus un crime ordinaire ; il y eut un mouvement de pieuse horreur.
« Il n’est pas étonnant que la terre vienne à trembler, dit quelqu’un, lorsqu’elle porte de tels monstres !
– En prison ! en prison ! » crièrent-ils tous.
Une voix, plus perçante que les autres, ajouta avec un ton joyeux :
« Les bêtes ne manqueront pas d’un gladiateur à présent.
– Hurrah pour le joyeux, joyeux spectacle ! »
C’était la voix de la jeune fille dont nous avons rapporté la conversation avec Médon.
« C’est vrai, c’est vrai ; quelle chance pour les jeux ! » répétèrent plusieurs voix.
Et toute pensée de miséricorde en faveur de l’accusé sembla s’évanouir. Sa jeunesse, sa beauté ne le rendaient que plus convenable pour l’arène.
« Apportez quelques planches… ou une litière, s’il y en a une ici près, pour y mettre le mort, dit Arbacès. Un prêtre d’Isis ne saurait être porté à son temple par de vulgaires mains, comme un gladiateur massacré. »
Les assistants étendirent respectueusement le corps d’Apaecidès sur le gazon, le visage tourné vers le ciel, et quelques-uns d’entre eux se mirent en quête de quelque moyen de transport, afin que le corps ne fût pas touché par des mains profanes.
En ce moment la foule, violemment écartée par un personnage vigoureux, livra passage à Olynthus, qui se trouva près de l’Égyptien ; mais son premier coup d’œil, plein d’une douleur et d’une horreur inexprimables, s’arrêta sur cette poitrine sanglante et sur ses traits, où se peignait encore l’angoisse d’une mort violente.
« Assassiné ! s’écria-t-il. Est-ce ton zèle qui t’a conduit là ? Ont-ils découvert ton noble dessein, et ta mort a-t-elle prévenu leur honte ? »
Il tourna la tête, et ses yeux s’arrêtèrent sur la figure solennelle de l’Égyptien.
Pendant qu’il le regardait, vous auriez pu voir sur son visage, et dans le léger tremblement de son corps, la répugnance et l’aversion que le chrétien ressentait pour un être qu’il savait si dangereux et si criminel. C’était le regard de l’oiseau sur le basilic, regard fixe et prolongé. Mais, sortant soudain de cette espèce d’engourdissement qui l’avait saisi, Olynthus étendit le bras vers Arbacès, et dit d’une voix forte et hardie :
« On a assassiné ce jeune homme ! Où est le meurtrier ? Réponds, Égyptien ; car, par le Dieu vivant, je crois que c’est toi. »
Le sombre visage d’Arbacès s’altéra un instant et exprima quelque inquiétude ; mais ce changement, à peine perceptible, fut suivi d’une expression de colère et de mépris ; la foule s’arrêta surprise de la véhémence de l’accusation, et se pressa autour de ces deux personnages qui devenaient les principaux acteurs de la scène.
« Je sais, dit Arbacès, quel est mon accusateur, et je devine pourquoi il m’interpelle ainsi. Citoyens, je vous signale cet homme comme le plus fougueux des Nazaréens, ou des chrétiens, je ne sais pas bien comment on les appelle. Qu’y a-t-il d’étonnant à ce qu’il ose accuser lui-même un Égyptien du meurtre d’un prêtre d’Égypte ?
– Je le connais ! je connais ce chien ! crièrent plusieurs voix. C’est Olynthus le chrétien, ou plutôt l’athée… Il nie les dieux.
– Paix, frères ! reprit Olynthus avec dignité. Écoutez-moi. Ce prêtre d’Isis, assassiné, avait embrassé
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