Les Derniers Jours de Pompéi
belles,
Du vin, des chants… la terre a mille appas.
Les dieux, amis, nous trouveraient rebelles,
S’ils existaient… mais ils n’existent pas.
Lorsque la piété de Lydon (qui, tout accommodante qu’elle était, ne fut pas médiocrement troublée par ces vers empreints de la philosophie élégante du temps), lorsque, disions-nous, la piété de Lydon se remit du choc qu’elle venait de recevoir, un petit nombre d’individus simplement habillés et appartenant à la classe moyenne passait devant l’endroit où il était assis ; leur entretien était animé, et ils ne parurent pas faire attention au gladiateur en s’avançant.
« Ô comble d’horreur ! dit un d’eux ; Olynthus nous est arraché ; notre bras droit nous est ravi. Quand le Christ descendra-t-il pour nous protéger ?
– L’atrocité humaine peut-elle aller plus loin ? dit un autre… Condamner un innocent à l’arène comme un meurtrier… Mais ne désespérons pas, le tonnerre de Sinaï peut encore être entendu, et Dieu sauver ses saints. L’insensé a dit dans son cœur : Il n’y a pas de Dieu. »
À ce moment, s’élança du palais illuminé le refrain de la chanson des convives.
Les dieux, amis, nous trouveraient rebelles,
S’ils existaient… mais ils n’existent pas. {85}
Avant que l’écho eût répété ces mots, les Nazaréens, émus d’une soudaine indignation, firent éclater dans les airs un de leurs hymnes favoris :
HYMNE PROPHÉTIQUE DES NAZARÉENS
Autour de toi, mortel, à tes côtés sans cesse
Dieu t’entendra, Dieu NOTRE appui !
Il monte sur son char : le ciel soudain s’abaisse,
Le flot s’écarte devant lui.
Malheur à qui le calomnie,
À qui le brave et le renie,
À qui l’insulte dans ses chants !
Malheur, malheur à vous, méchants !
On voit tomber les étoiles,
Les cieux se couvrent de voiles,
Le firmament est détruit,
L’enfer montre ses abîmes
Pleins de tourments et de crimes,
Et le temps vaincu s’enfuit !
La trompette au loin résonne.
Dieu, qui paraît sur son trône,
De ses anges entouré,
Descend pour juger les hommes !
Regardez tous ces fantômes
Chacun à la peur livré !
C’est lui, le juge des tombes !
Des vautours et des colombes
Il sait distinguer le cœur ;
Dieu, pour le juste et le sage,
Des cieux ouvre le passage,
Dieu tout-puissant et vainqueur !
Malheur à qui le calomnie,
À qui le brave et le renie,
À qui l’insulte dans ses chants !
Malheur, malheur à vous, méchants !
Le silence succéda soudain dans la salle du festin à ces prophétiques paroles ; les chrétiens versèrent des pleurs et disparurent bientôt à la vue du gladiateur effrayé, sans trop savoir pourquoi, par leurs mystiques menaces ; Lydon, après une courte pause, se leva pour retourner chez lui. Comme cette belle cité dormait tranquillement devant ses pas, sous la nuit étoilée ! comme les colonnades de ses rues reposaient en pleine sécurité ! comme les vagues de la mer venaient la baigner doucement ! comme les cieux sans nuages de la Campanie étendaient avec complaisance leur azur foncé !… Cependant c’était la dernière nuit de cette joyeuse ville de Pompéi, de cette colonie du Chaldéen à cheveux blancs ! de cette cité fabuleuse d’Hercule ! de ces débris des voluptueux Romains ! Les siècles avaient roulé sur sa tête sans y toucher, sans lui ôter une grâce, et maintenant le dernier rayon avait lui sur le cadran de sa destinée. Le gladiateur entendit quelques pas derrière lui ; un groupe de femmes s’en revenait de la visite à l’amphithéâtre ; comme il se retournait, son œil s’arrêta sur une étrange et soudaine apparition. Du sommet du Vésuve, à peine visible à cette distance, s’élevait une lumière pâle, météorique, livide… elle trembla un instant dans l’air et s’évanouit. Au moment même où cette lueur avait frappé ses yeux, la voix d’une des plus jeunes femmes fit entendre gaiement ce populaire refrain :
Gai, gai, pas de chagrin,
Quel beau spectacle demain !
LIVRE V
Chapitre 1
Le songe d’Arbacès – Une visite et un avertissement pour l’Égyptien
La nuit redoutable qui précédait les jeux féroces de l’amphithéâtre s’écoula lentement, et l’on vit luire enfin le premier rayon du DERNIER JOUR DE POMPÉI. L’air était prodigieusement calme et pesant ; un brouillard transparent et lourd s’étendait sur les vallées et dans les ravins des vastes
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