Les Derniers Jours de Pompéi
sa queue, avec laquelle il semblait jouer, ou un sourd bâillement, témoignaient seulement de l’ennui qu’il éprouvait de la prison ou de la vue de la foule qui se pressait devant lui.
« Je n’ai jamais vu de bête plus sauvage que ce lion, même dans l’amphithéâtre de Rome, dit un gigantesque et musculeux garçon qui se trouvait à la droite de Sosie.
– Je me sens humilié quand je regarde ses membres », ajouta, à la gauche de Sosie, un personnage moins fort en apparence, et dont les bras étaient croisés sur sa poitrine.
L’esclave les regarda l’un après l’autre, et se dit à lui-même : « Virtus in medio ; la vertu se trouve dans le juste milieu. Un joli voisinage pour toi, Sosie ! te voilà entre deux gladiateurs.
– Tu as raison, Lydon, reprit le plus grand des gladiateurs, j’éprouve la même honte.
– Et penser, observa Lydon avec un ton de compassion, penser que ce noble Grec, que nous avons vu, il y a un jour ou deux, si plein de jeunesse, de santé, de bonheur, sera la proie de ce monstre !
– Pourquoi pas ? reprit Niger d’un ton sauvage ; plus d’un honnête gladiateur a été forcé à un pareil combat par l’empereur : pourquoi la loi n’y condamnerait-elle pas un meurtrier ? »
Lydon soupira, haussa les épaules et garda le silence. Pendant ce temps-là, bon nombre de spectateurs écoutaient leur conversation, les yeux fixes, la bouche béante. Les gladiateurs étaient des objets de curiosité aussi bien que les bêtes : n’étaient-ce pas des animaux de la même espèce ? Aussi la foule portait tour à tour ses regards des hommes aux bêtes, des bêtes aux hommes, en murmurant ses commentaires, et en savourant par anticipation ses plaisirs du lendemain.
« Eh bien, dit Lydon en se détournant, je remercie les dieux de n’avoir pas à combattre le lion ou le tigre ; j’aimerais mieux, en vérité, combattre avec toi, Niger.
– Je suis aussi dangereux qu’eux », répondit l’autre avec un rire féroce ; et les assistants, qui admiraient ses membres vigoureux et son air sauvage, se mirent à rire aussi.
« Cela peut être », répondit Lydon avec insouciance en se frayant un chemin au milieu de la foule, et en s’éloignant de la cellule.
« Je ne ferais pas mal de profiter de ses épaules, se dit Sosie en se hâtant de le suivre ; la foule livre toujours passage aux gladiateurs, et, en me tenant très près derrière celui-là, j’aurai plus de facilité à me tirer de là. »
Le fils de Médon passa légèrement à travers la foule ; beaucoup de personnes connaissaient son nom et sa profession.
« C’est le jeune Lydon, un bon gladiateur ; il combat demain, dit quelqu’un.
– Et j’ai parié pour lui, répondit un autre ; regardez comme il marche d’un pas ferme.
– Bonne chance, Lydon ! dit un troisième.
– Lydon, mes souhaits pour toi ! murmura une quatrième personne (une femme agréable de la moyenne classe) ; et si tu triomphes, tu entendras parler de moi.
– Voilà un bel homme, par Vénus ! s’écria une cinquième, une jeune fille qui sortait à peine de l’enfance.
– Merci », répondit Sosie, qui prit le compliment pour lui.
Quelques purs que fussent les motifs de Lydon, et quoiqu’il fût certain que jamais il n’aurait embrassé cette sanglante profession sans l’espoir d’obtenir la liberté de son père, il ne laissait pas d’être flatté de l’effet qu’il produisait : il oubliait que ces voix, qui lui adressaient des vœux en ce moment, s’élèveraient peut-être le lendemain pour réclamer sa mort. Fier et hardi de sa nature, aussi bien que généreux et plein de cœur, il était déjà pénétré de l’orgueil de ce métier qu’il croyait dédaigner ; il avait subi l’influence de son habituelle société tout en la méprisant ; il se voyait un homme d’importance ; son pas en était plus léger, son maintien plus assuré.
« Niger, dit-il en se retournant tout à coup, après avoir traversé la foule, nous nous sommes souvent querellés ; nous ne combattrons pas l’un contre l’autre ; mais, selon toute apparence, l’un de nous deux succombera ; donne-moi ta main.
– Bien volontiers, dit Sosie en tendant la sienne.
– Ah ! quel est cet imbécile ? Je croyais que c’était Niger qui me suivait.
– Je pardonne ta méprise, dit Sosie d’un ton protecteur, n’en parlons plus ; l’erreur est naturelle : Niger et moi nous sommes à peu près
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