Les Derniers Jours de Pompéi
dansaient dans les airs d’une manière folle, disparaissant tout à coup et se rencontrant ensuite avec un éclat beaucoup plus vif. Tandis qu’Arbacès contemplait avec étonnement la galerie placée à sa gauche, des formes légères et aériennes y passèrent lentement, et, quand elles eurent atteint la grande salle, se dissipèrent en montant comme la fumée.
Il se retourna, saisi de crainte, vers le côté opposé ; il y vit venir doucement, du fond des ténèbres, des ombres pareilles qui descendaient dans la galerie à sa droite, comme entraînées par le flux d’un invisible courant : la figure de ces spectres était plus distincte que celles qu’il avait vues auparavant ; les unes avaient un air de joie, les autres un air de douleur ; quelques-unes exprimaient l’attente et l’espérance ; d’autres l’effroi et l’horreur : elles passaient rapidement et sans cesse devant ses yeux éblouis par cette succession d’êtres divers qu’une force supérieure paraissait pousser en avant.
Arbacès se détourna ; au fond de la salle, il aperçut alors la forme puissante d’une géante assise sur un monceau de crânes, et dont les mains étaient occupées à un métier placé dans l’ombre, qui communiquait avec les nombreuses roues dont nous avons parlé, et semblait diriger tout son mécanisme ; il sentit ses pieds s’avancer par une force secrète vers cette femme, et se trouva bientôt face à face avec elle. La physionomie de la géante était calme, solennelle et d’une sérénité imposante : on eût dit la figure de quelque colossale sculpture des sphinx de son pays. Aucune passion, aucune émotion humaine ne troublaient son large front sans rides ; on n’y découvrait ni tristesse, ni joie, ni souvenir, ni espérance ; il était dépourvu de tout ce qui peut sympathiser avec le cœur humain. Le mystère des mystères reposait sur sa beauté ; il inspirait le respect plutôt que l’effroi : c’était l’incarnation du sublime. Arbacès, sans avoir envie de parler, entendit sa propre voix demander à cette femme :
« Qui es-tu ? et que fais-tu ?
– Je suis, répondit le grand fantôme sans se déranger de son travail, je suis celle que ta science a reconnue ; mon nom est la NATURE : tu vois ici les rouages du monde, et ma main les guide pour entretenir la vie de toutes choses.
– Et quelles sont, dit la voix d’Arbacès, ces galeries qui, illuminées d’une manière si étrange et si incertaine, se perdent de chaque côté dans les abîmes des ténèbres ?
– Celle que tu vois à gauche, répondit la mère-géante, est la galerie des êtres qui ne sont pas encore nés ; les âmes qui voltigent les premières et qui montent sont celles qui sortent du sein éternel de la création pour accomplir leur pèlerinage sur la terre : la galerie que tu vois à droite, où ces ombres descendent d’en haut se dirigeant vers des régions obscures et inconnues, est la galerie de la mort.
– Et pourquoi, reprit la voix d’Arbacès, ces lumières errantes qui traversent l’obscurité, mais qui la traversent seulement, sans la dissiper ?
– Sombre artisan de la science humaine, contemplateur d’étoiles, toi qui veux déchiffrer l’énigme des cœurs et l’origine des choses, ces lueurs, ce sont les faibles lumières de la science accordée à la nature, afin qu’elle puisse accomplir son œuvre, et distinguer assez le passé et l’avenir pour mettre quelque prévoyance dans ses desseins. Juge donc, pauvre marionnette que tu es, de la lumière qui peut être réservée pour toi ! »
Arbacès se sentit trembler en demandant de nouveau :
« Pourquoi suis-je ici ?
– Pour obéir au pressentiment de ton âme, à la prescience de ton sort qui s’accomplit ; pour voir l’ombre de ta destinée qui va s’élancer de la terre dans l’éternité. »
Avant de pouvoir répondre, Arbacès sentit s’élever dans la caverne un vent semblable à celui que produiraient les ailes d’un dieu gigantesque. Soulevé de terre et emporté par un tourbillon comme une feuille par un ouragan d’automne, il se vit au milieu des spectres de la mort, et poussé avec eux dans l’obscurité ! Dans son vain et impuissant désespoir, il essayait de lutter contre l’impulsion ; il lui sembla alors que le vent, prenant un corps, devenait une espèce de fantôme avec les ailes et les serres d’un aigle, dont les membres flottaient au loin et vaguement dans l’air, et dont
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