Les Derniers Jours de Pompéi
disparurent enfin dans les détours des rues : la nuit et le silence reprirent possession du temple. Pendant une des interruptions assez fréquentes de l’éruption, Glaucus encouragea Ione à continuer leur chemin. Comme ils se tenaient, en hésitant, sur la dernière marche du portique, un vieillard, portant un sac à sa main droite et s’appuyant sur un jeune homme, passa devant eux. Le jeune homme portait une torche. Glaucus les reconnut tous les deux : c’étaient un père avare et un fils prodigue.
« Mon père, dit le jeune homme, si vous ne marchez pas plus vite, je serais forcé de vous quitter, ou nous périrons tous les deux.
– Fuis donc, mon fils, et laisse là ton père.
– Mais je ne puis pas fuir pour mourir de faim : donnez-moi votre sac plein d’or. »
Et le jeune homme essaya de le lui arracher.
« Misérable ! voudrais-tu voler ton père ?
– Oui ! qui me dénoncera dans un tel jour ? Avare, péris ! »
Le jeune homme renversa le vieillard sur le sol, s’empara du sac, que lui disputait mal une main sans vigueur, et s’enfuit poussant une espèce de rugissement sauvage.
« Grands dieux, s’écria Glaucus, êtes-vous donc aussi aveuglés par ces ténèbres ? De tels crimes peuvent faire confondre l’innocent, et le coupable dans une commune ruine. Ione, partons, partons. »
Chapitre 8
Arbacès rencontre Ione et Glaucus
S’avançant comme des prisonniers qui s’échappent d’un cachot, Ione et son amant continuèrent leur route incertaine. Ce n’était que lorsque les éclairs volcaniques jetaient leur long sillon sur les rues, qu’il leur était possible de diriger leurs pas à cette effrayante clarté ; le spectacle qui les entourait n’était guère propre à les encourager. Partout où les cendres étaient sèches, et sans mélange des bouillants torrents que la montagne lançait à de capricieux intervalles, la surface de la terre présentait une horrible et lépreuse blancheur. En d’autres lieux, les charbons et les pierres s’entassaient sur le corps de quelque malheureux fugitif, dont on apercevait les membres écrasés et mutilés. Les soupirs des mourants étaient interrompus par les cris plaintifs des femmes, qu’on entendait tantôt de près, tantôt de loin ; cris rendus plus terribles encore par la pensée que, dans cette obscurité périlleuse, il était impossible de porter secours aux victimes. Au-dessus de tous ces bruits dominaient ceux qui partaient de la montagne fatale, plus puissants et plus variés que les autres ; ses tempêtes, ses torrents, ses épouvantables explosions ne cessaient pas. Les vents apportaient dans les rues, toutes les fois qu’ils y soufflaient, des courants de poussière brûlante, et des vapeurs desséchantes et empoisonnées, telles qu’on perdait tout à coup la respiration et le sentiment ; un instant après, le sang refoulé dans les veines s’arrêtait violemment. Chaque nerf, chaque fibre éprouvaient toutes les sensations de l’agonie.
« Ô Glaucus ! mon bien-aimé ; mon époux, soutiens-moi, prends-moi, serre-moi sur ton cœur… Que je sente tes bras autour de mon corps, et que je meure dans ces embrassements… Je n’ai plus de force !…
– Pour mon salut, pour ma vie, courage encore, douce Ione… Mon existence est liée à la tienne… Tiens, vois… des torches… de ce côté ! Ah ! comme elles bravent le vent !… Comme elles vivent dans la tempête… Ce sont des fugitifs qui se rendent à la mer… Nous nous joindrons à eux. »
Comme si le ciel eût voulu ranimer les amants, les vents et les pluies s’arrêtèrent un moment… L’atmosphère était profondément tranquille… La montagne semblait au repos, se recueillant, peut-être, pour recommencer ses explosions avec plus d’énergie ; les porteurs de torches s’avançaient lentement.
« Nous sommes près de la mer, dit, d’une voix calme, la personne qui les conduisait. Liberté et richesse à chaque esclave qui survivra à ce jour ! Courage, je vous répète que les dieux m’ont assuré que nous serions sauvés… Allons ! »
Les torches répandirent une lueur rougeâtre et effrayante sous les yeux de Glaucus et d’Ione, qui, tremblante et épuisée, s’appuyait sur la poitrine de son amant. Quelques esclaves portaient des paniers et des coffres, pesamment chargés ; Arbacès, une épée nue à la main, les dirigeait avec fermeté.
« Par mes pères, s’écria l’Égyptien, le destin me
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