Les Derniers Jours de Pompéi
éclairs affectaient parfois la forme et les replis de ces énormes reptiles ; d’autres fois c’était un rouge ardent et intolérable, qui, éclatant à travers des colonnes de fumée, illuminait la ville entière, puis expirait tout à coup, devenant sombre et pâle comme un fantôme de lumière.
Dans l’intervalle des pluies on entendait le bruit qui se faisait sous terre, et les vagues grondantes de la mer tourmentée ; ou plus bas encore ; et perceptible seulement pour une oreille attentive et pleine de crainte, le murmure sifflant des gaz qui s’échappaient des crevasses de la montagne lointaine. Par moments le nuage paraissait briser sa masse solide et offrir, à la lueur des éclairs, des formes d’hommes ou de monstres se poursuivant, se heurtant et s’évanouissant, après ces combats moqueurs, dans le turbulent abîme de l’ombre : de sorte que, aux yeux et à l’esprit des voyageurs effrayés, ces vapeurs sans substance paraissaient de gigantesques ennemis, ministres de la terreur et de la mort {95} .
Les cendres en beaucoup d’endroits s’élevaient à la hauteur des genoux, et la bouillante pluie qui sortait de la bouche enflammée du volcan entrait violemment dans les maisons, apportant avec elle une forte et suffocante vapeur. En certaines places, d’immenses fragments de rochers étaient précipités sur les toits des maisons et couvraient les rues de masses confuses de ruines qui obstruaient de plus en plus les chemins. Plus le jour s’avançait, plus l’agitation de la terre était sensible : le piéton chancelait sur le sol ; ni char ni litière ne pouvaient se tenir en équilibre, même sur le terrain le plus uni.
On voyait les plus larges pierres se choquer les unes contre les autres en tombant, se rompre en mille morceaux et lancer d’immenses étincelles qui embrasaient tout ce qui se trouvait de combustible à leur portée : le long des plaines, hors de la ville, l’obscurité fut dissipée un moment d’un façon terrible ; plusieurs maisons et des vignobles entiers étaient la proie des flammes. Ces incendies éclataient tout à coup au milieu des ténèbres. Pour ajouter à cette clarté intermittente, les citoyens avaient çà et là, sur les places publiques, particulièrement sous les portiques des temples et aux entrées du Forum, essayé de placer des rangées de torches ; mais les pluies de feu et les vents les éteignaient, et l’obscurité n’en paraissait ensuite que plus redoutable ; on sentait l’impuissance des espérances humaines : c’était comme une leçon de désespoir.
Fréquemment, à la lumière momentanée de ces torches, des groupes de fugitifs se rencontraient, les uns fuyant vers la mer, les autres fuyant de la mer vers les campagnes : car l’Océan s’était retiré rapidement du rivage ; de profondes ténèbres le recouvraient en entier. Sur ses vagues agitées et grondantes tombaient les cendres et les pierres, sans que l’on pût échapper à leur fureur, comme sur la terre, qui offrait du moins la protection des édifices. Désordonnés, éperdus, remplis de craintes surnaturelles, ces groupes passaient à côté les uns des autres sans avoir le loisir de se parler, de se concerter, de se conseiller : car les pluies tombaient alors, non pas continuellement, mais à des intervalles si rapprochés, qu’elles éteignaient leurs torches et les forçaient à se disperser pour chercher un abri. Ils n’avaient que le temps de voir leurs faces semblables à celles des ombres. Tous les éléments de la civilisation étaient détruits ; le voleur chargé de butin et riant, à gorge déployée, du profit que lui promettaient ces dépouilles, passait sans crainte à côté du solennel magistrat. Si dans l’ombre une femme était séparée de son mari, un père de son enfant, tout espérance de se retrouver était vaine. On se pressait, on s’enfuyait au hasard. De toutes les combinaisons variées de la vie sociale, il ne restait plus rien ; il n’y avait plus qu’un sentiment, celui de sa propre conservation.
L’Athénien, accompagné d’Ione et de la jeune fille aveugle, poursuivait son chemin au milieu de ces scènes de désordre ; tout à coup des centaines de personnes, qui se rendaient aussi à la mer, débordèrent sur eux. Nydia fut arrachée du côté de Glaucus, emporté en avant avec Ione ; et lorsque la foule, qu’ils n’avaient pu même entrevoir, tant l’obscurité était forte, eut passé, Nydia
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