Les Derniers Jours de Pompéi
craint de dire ?… Hélas ! c’est dans ton absence que je comprends surtout les enchantements par lesquels tu m’a soumis. L’absence, qui me prive de joie, me donne du courage. Tu ne veux pas me voir ; tu as banni également les flatteurs qui ont l’habitude de t’environner. Peux-tu me confondre avec eux ?… Ce n’est pas possible. Tu sais trop bien que je n’ai rien de commun avec eux, que nous ne sommes pas pétris de la même argile. Quand je serais encore formé d’un plus humble limon, le parfum de la rose m’a pénétré, et l’esprit de ta nature a passé en moi, pour m’embaumer, me purifier, m’inspirer. Ai-je été calomnié auprès de toi, Ione ? Tu ne croirais pas la calomnie. L’oracle de Delphes lui-même me dirait que tu es une créature indigne de mon hommage, je ne le croirais pas, et je suis moins incrédule que toi.
Je pense à la dernière fois où nous nous sommes vus, à ce chant que je t’ai chanté, à ce regard que tu m’as accordé en retour. Dissimule-le autant que tu le voudras, Ione, il y a quelque intimité entre nous, et nos yeux l’ont avoué, si nos lèvres ont gardé le silence : laisse-moi te voir, écoute-moi, et, après cela, chasse-moi pour toujours si tu le veux. Je n’avais pas dessein de t’avouer si tôt mon amour, mais ces mots sortent malgré moi de mon cœur… Je ne puis les arrêter. Accepte donc mon cœur et mes vœux. Nous nous sommes rencontrés devant le temple de Pallas ; ne nous rencontrerons-nous pas devant un plus doux et plus ancien autel ?
Ô belle et adorée Ione, si l’ardeur de ma jeunesse et mon sang athénien m’ont entraîné, m’ont égaré, ce n’a été que pour m’apprendre, dans mes courses vagabondes, à apprécier le repos, le port que j’ai atteint. Je suspends mes vêtements mouillés à l’autel du dieu des mers ; j’ai échappé au naufrage. Je t’ai trouvée, TOI : Ione, daigne me voir. Tu es aimable pour les étrangers ; auras-tu moins de compassion pour tes compatriotes ? J’attends ta réponse. Accepte les fleurs que je t’envoie. Leur douce haleine a un langage plus éloquent que les mots ; elles empruntent au ciel les odeurs qu’elles nous rendent ; elles sont les images de l’amour qui reçoit et qui paye dix fois plus qu’il ne reçoit. Elles sont l’emblème du cœur que tes rayons ont traversé et qui te doit le germe de ses trésors ; daigne leur sourire. Je t’envoie ces fleurs par une personne que tu recevras pour l’amour d’elle-même, si ce n’est pour l’amour de moi. Comme nous elle est étrangère ; les cendres de ses pères reposent sous des cieux plus brillants ; mais, moins heureuse que nous, elle est aveugle et esclave. Pauvre Nydia ! Je cherche autant que possible à réparer pour elle les torts de la nature et du destin, en te demandant la permission de la placer près de toi. Elle est habile musicienne, elle chante bien, et c’est une vraie Chloris pour les fleurs. Elle pense, Ione, que vous l’aimerez ; sinon, renvoyez-la-moi.
Un mot encore : pardonnez mon audace, Ione… D’où vient votre haute estime pour votre sombre Égyptien ? son air n’est pas d’un honnête homme. Nous autres Grecs, dès le berceau, nous connaissons les hommes ; nous sommes profonds aussi sans affecter un maintien austère. Le sourire est à nos lèvres, mais nos yeux sont graves : ils observent, ils notent, ils étudient. Arbacès n’est pas un homme auquel on puisse se fier. Peut-être est-ce lui qui m’a calomnié dans ton esprit. Je le pense, parce que je l’ai laissé avec toi. Tu as vu comme ma présence l’a surpris. Depuis ce moment, tu ne m’as plus admis dans ta maison. Ne crois rien de ce qu’il est capable de dire contre moi. Si tu le crois, dis-le-moi, au moins. Ione doit cela à Glaucus. Adieu. Cette lettre touche ta main, ces caractères rencontrent tes yeux ; faut-il qu’ils soient plus heureux que leur auteur ? Encore une fois, adieu.
Il sembla à Ione, pendant qu’elle lut cette lettre, qu’un brouillard se dissipait devant ses yeux. Quelle avait été l’offense supposée de Glaucus ? qu’il ne l’aimait pas réellement. Ne confessait-il pas cet amour, pleinement, dans les termes les moins douteux ? Dès ce moment, son pouvoir se trouva complètement rétabli. À chaque tendre mot de cette lettre, pleine d’une passion si confiante et si poétique, son cœur lui faisait un reproche. Avait-elle pu douter de sa foi ? avait-elle pu
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