Les Derniers Jours de Pompéi
souvenir », dit Ione en couvrant son visage de ses mains, comme pour cacher la confusion que lui causait la pensée de cet homme.
« Peut-être est-il à présent sur les mornes rives du Styx, dit Glaucus ; cependant, s’il en était ainsi, nous aurions entendu parler de sa mort. Il semble que votre frère ait ressenti l’influence de l’âme ténébreuse d’Arbacès. Lorsque nous sommes arrivés la dernière nuit chez vous, il l’a quitté subitement. Voudra-t-il jamais accepter mon amitié ?
– Il est consumé par un chagrin secret, répondit Ione d’un air triste. Plût aux dieux que nous pussions l’arracher à lui-même ! Unissons-nous pour cette bonne action.
– Ce sera mon frère, répliqua le Grec.
– Avec quel calme, reprit Ione, en s’efforçant d’échapper à la sombre tristesse où le souvenir d’Apaecidès l’avait plongée, avec quel calme les nuages semblent reposer dans le ciel ! et cependant, vous m’avez dit, car je n’en ai pas eu connaissance par moi-même, qu’un tremblement de terre a eu lieu cette nuit ?
– En effet, et plus violent, dit-on, que tous ceux qui se sont produits depuis la grande convulsion d’il y a soixante ans ; le royaume de Pluton, qui s’étend sous notre campagne ardente, a paru agité d’une commotion inaccoutumée. N’as-tu pas senti la terre trembler, Nydia, dans l’endroit où tu étais assise ? et n’est-ce pas la peur qui a fait couler tes larmes ?
– J’ai senti la terre s’agiter et remuer sous moi comme un monstrueux serpent, répondit Nydia ; mais, comme je ne voyais rien, je n’ai pas eu d’effroi. Je me suis figuré que cette convulsion provenait de la magie de l’Égyptien. On dit qu’il commande aux éléments.
– Tu es Thessalienne, ma Nydia, reprit Glaucus, et tu as, par origine, le droit de croire à la magie.
– La magie !… qui doute de la magie ? répliqua Nydia avec naïveté. Est-ce vous ?
– Jusqu’à la dernière nuit (où un prodige de la nécromancie m’a subjugué), je n’avais pas voulu croire à d’autre magie qu’à celle de l’amour, dit Glaucus d’une voix tendre et en attachant ses yeux sur Ione.
– Ah ! dit Nydia avec une sorte de frisson, et elle tira machinalement quelques sons de sa lyre ; cette harmonie s’accordait bien avec la tranquillité des eaux et le calme du soleil du midi.
– Joue-nous quelque chose, chère Nydia, dit Glaucus, joue un de tes vieux airs thessaliens ; que ton chant parle de magie ou non, à ton choix, mais qu’il parle d’amour !
– D’amour ! répéta Nydia en levant ses grands yeux incertains, qu’on ne pouvait regarder sans un sentiment de crainte et de pitié ; on ne se familiarisait pas avec leur aspect : car il semblait étrange que leurs globes errants et noirs ignorassent la lumière, avec leur regard quelquefois mystérieux et fixe, quelquefois inquiet et troublé, de sorte qu’en le regardant on éprouvait la même impression vague, glaçante et presque surnaturelle qu’on éprouve en présence d’une personne privée de la raison, de celles qui, ayant une vie extérieure comme la nôtre, ont de plus une vie intérieure différente, inexplicable, impossible à saisir.
« Vous voulez donc un chant d’amour ? dit-elle en fixant ses yeux sur Glaucus.
– Oui », répliqua-t-il en baissant les yeux.
Nydia éloigna le bras d’Ione qui était encore autour d’elle, comme si cette douce étreinte la gênait ; et, plaçant son léger et gracieux instrument sur ses genoux, elle chanta, après un court prélude, la chanson suivante :
LA CHANSON D’AMOUR DE NYDIA
I
Le vent et le rayon aimaient tous deux la rose,
Épris de son éclat vermeil ;
Mais qui chérit le vent, amant jaloux, morose ?
La fleur n’aimait que le soleil.
II
Personne ne savait vers quels lointains rivages
L’aile du vent allait frémir ;
Personne, dans la voix des plus simples orages,
N’entendait une âme gémir.
III
Heureux rayon, tu vois, à la moindre caresse,
L’amour doucement s’éveiller ;
Ta clarté te suffit ; pour prouver ta tendresse,
Tu n’as qu’à paraître et briller.
IV
Comment le vent peut-il révéler sa souffrance ?
L’effroi partout suit son soupir.
Pour prouver son amour, amour sans espérance,
Il ne lui reste qu’à mourir.
« Ton chant est triste, douce enfant, dit Glaucus ; ta jeunesse ne sent encore que l’ombre de l’amour ; il éveille en nous bien d’autres inspirations
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