Les Derniers Jours de Pompéi
Qu’y a-t-il de surprenant à ce que la terre se soit soulevée la nuit dernière, désireuse sans doute de rejeter l’athée de son sein ? Que dis-je ? un athée… pis que cela : un homme qui méprise les beaux-arts. Malheur à nous autres fabricants de bronze, si de tels compagnons venaient à donner des lois à la société !
– Ce sont là les mendiants qui ont brûlé Rome sous Néron, murmura le joaillier.
Pendant ces remarques provoquées par la physionomie et par la foi du Nazaréen, Olynthus commença à s’apercevoir de l’effet qu’il produisait. Il tourna les yeux autour de lui, et observa les figures attentives de la foule grossissante, où chacun se parlait à l’oreille en le regardant. Il jeta, de son côté, sur la foule un regard de défiance d’abord, et puis de compassion. Enveloppé ensuite dans son manteau, il passa, en murmurant assez haut pour être entendu :
« Aveugles idolâtres ! la convulsion de la dernière nuit n’a-t-elle donc pas été pour vous un avertissement ? Hélas ! en quel état vous trouvera le dernier jour du monde ! »
La foule, qui entendit ces paroles solennelles, leur donna diverses interprétations, selon le degré de crainte et d’ignorance de chacun. Tout le monde s’accorda du moins à leur reconnaître le caractère d’une épouvantable imprécation. Ils regardaient le chrétien comme l’ennemi de l’humanité. Les épithètes qu’ils lui décochaient, et parmi lesquelles celle d’athée était la plus commune et la mieux reçue, peuvent servir à nous apprendre, maintenant que la foi d’Olynthus, qui est la nôtre, a triomphé, que nous aurions tort de nous livrer, à l’égard de ceux qui ne pensent pas aujourd’hui comme nous, aux injures dont on accablait les doctrines de notre religion.
Olynthus, en traversant la foule et en gagnant une des issues les moins fréquentées du forum, reconnut aisément une figure pâle et sérieuse, dont les yeux étaient fixés sur lui.
Couvert d’un pallium qui voilait en partie ses habits sacrés, le jeune Apaecidès contemplait le disciple de cette nouvelle et mystérieuse croyance, à laquelle il avait été déjà à moitié converti.
« Est-ce aussi un imposteur, se dit-il, cet homme si simple dans sa vie, dans son costume, dans son maintien ? cache-t-il sous le masque de l’austérité la concupiscence la plus effrénée ? Le voile de Vesta recouvre-t-il les vices d’une prostituée ? »
Olynthus, accoutumé à voir des personnes de toutes classes, et qui réunissait à l’enthousiasme de sa foi une profonde connaissance des hommes, devina peut-être, à l’air d’Apaecidès, ce qui se passait dans le cœur du jeune prêtre. Il prévint son examen ; et, l’abordant avec un regard ferme, un front serein, une franchise pleine de candeur :
« Que la paix soit avec toi ! dit-il en le saluant.
– La paix ! reprit le prêtre d’une voix si profondément triste qu’elle alla droit au cœur du Nazaréen.
– Ce souhait, continua Olynthus, ne renferme que de bonnes choses : sans la vertu il n’y a pas de paix ; la paix est semblable à l’arc-en-ciel, qui repose sur la terre, mais dont la voûte est dans les cieux. Le ciel le baigne de teintes de lumière ; il se forme au milieu de la pluie et des nuages ; il est la réflexion de l’éternel Soleil, l’assurance du calme, le gage d’alliance entre l’homme et Dieu. Telle est la paix, ô jeune homme ; c’est le sourire de l’âme, une émanation des sphères de l’éternelle lumière. Que la paix soit avec toi !
– Hélas ! répondit Apaecidès, et il s’interrompit en remarquant les regards des oisifs curieux, qui se demandaient ce qu’il pouvait y avoir de commun entre un Nazaréen reconnu et un prêtre d’Isis ; il ajouta pourtant à voix basse : « Nous ne pouvons converser ici ; je veux te suivre sur les bords de la rivière ; il y a, tu sais, un chemin qui à cette heure est solitaire et désert. »
Olynthus s’inclina en marque d’assentiment. Il traversa les rues d’un pas rapide, mais avec un œil observateur. Çà et là il échangea un regard d’intelligence, un léger signe avec quelques passants dont la toilette indiquait généralement qu’ils appartenaient aux derniers rangs de la société : car le christianisme fut en cela le type de beaucoup d’autres révolutions moins considérables ; la bonne graine était dans le cœur des petits. C’était dans les cabanes de la
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