Les dîners de Calpurnia
justement rétribué, les bénéfices de l'entrepreneur étaient importants et celui qui pouvait exercer les deux fonctions avait sa fortune assurée. Celle de Sevurus dépassait, disait-on, les deux millions et demi de sesterces, un capital qui l'aurait autorisé à jouer un rôle politique dans la cité s'il n'avait préféré au pouvoir le paisible exercice de son art.
Pour l'instant, l'heure n'était pas aux spéculations familiales. Néron avait commandé un travail et il fallait l'exécuter dans les délais sous peine d'encourir sa colére. Dés le lendemain de la convocation au Palatin, l'atelier, b‚ti un peu plus loin que la maison dans le chemin du Vélabre, se trouva transformé en ruche bourdonnante. Tous les dessinateurs, copistes, colleurs de papyrus, préparateurs d'encres et de couleurs, tabletiers, fondeurs de cire avaient été requis. Monté sur un trépied, un grand panneau de bois enduit de cire s'offrait à Sevurus. C'est là que le maître, armé d'un stylet d'os, allait à grands sillons graver l'ébauche d'un plan gigantesque, celui du grand " quartier royal " de Rome qui devait recouvrir, selon le désir de Néron, presque tout l'Esquilin et la plus grande partie du Palatin jusqu'à la Porte Majeure. Le projet avait quelque chose d'insensé. Sevurus ne l'ignorait pas mais savait qu'il serait vain de tenter d'empêcher Néron d'entreprendre la grande mise en scéne de son régne. Le plus choquant était que l'Empereur profitait de la calamité
qui venait de détruire presque toute la ville pour s'octroyer des quartiers entiers, construire une campagne au cúur de Rome et, au centre de cette campagne, un palais plus vaste et plus luxueux que ce Palatin d'o˘ les Césars gouvernaient le monde depuis si longtemps. Sevurus n'avait pas le choix : Néron avait fixé les limites de sa folie, il n'avait plus qu'à
remplir cet espace gagné sur une ville déjà trop petite pour ses deux millions d'habitants, à interpréter les rêves baroques et les idées brumeuses de l'Empereur.
L'idée de Sevurus était de concevoir le nouveau domaine impérial autour d'une immense piéce d'eau qui apporterait de la fraîcheur en été et pourrait être le cadre de fêtes, de féeries nocturnes, de combats aquatiques. Pour le reste, Néron voulait multiplier les villas, les arcades, les bosquets plutôt que manifester l'expression de sa grandeur par un palais si gigantesque qu'il en serait devenu monstrueux.
- César, pour notre bonheur, ne manque pas de go˚t, dit Sevurus à Celer qui venait de lui rendre compte de l'installation de l'atelier o˘ il allait construire la maquette. Son idée d'une campagne dans la ville et de petits palais tous différents est bonne. Il conviendra tout de même de couronner l'ensemble par une construction prestigieuse. Je pense à un dôme o˘ la lumiére commanderait au temps...
- Tout cela va représenter une fortune colossale, soupira Celer. Néron peut-il assumer une telle dépense ?
- La fortune de César n'a de limites que celles du monde sur lequel il régne. Ce n'est pas l'argent qui manquera, ce sont les hommes. Combien d'ouvriers faudra-t-il trouver pour creuser le lac et faire surgir de la verdure sur une terre br˚lée ?
- Les esclaves, comme toujours, feront la besogne.
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- Il faudra les faire venir de loin car les esclaves, les vrais, se font rares dans Rome. Les temps ont changé depuis que régne la paix romaine.
Enfin, une guerre de conquête peut toujours éclater et entraîner un afflux de main-d'úuvre. Pour l'instant, le marché aux esclaves n'est pas approvisionné et les prix montent.
- L'Empereur sait-il tout cela quand il commande l'impossible ?
- Disons qu'il préfére ne pas le savoir et demander à Tigellin de se débrouiller. Mais nous n'en sommes pas là. Les épures doivent être prêtes dans un mois. Comme ta maquette, qui doit étonner César.
La maison dorée
Les mois passérent. Dans la fiévre, dans le doute, dans l'espoir tout de même d'arriver au bout d'un travail épuisant que Néron ordonnait chaque jour d'accélérer en répétant qu'il voulait voir son úuvre terminée avant de mourir. On n'en était pourtant qu'aux plans, aux commandes de matériaux, au recrutement des ouvriers. Ce n'est que neuf mois aprés l'incendie qu'une armée d'esclaves venus des champs Décumates et d'Egypte entreprit de creuser la piéce d'eau des jardins impériaux. Peu avant, on avait craint la catastrophe lorsque Sevurus était tombé
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