Les dîners de Calpurnia
pleine chaussée ! Jusqu'au temple de Minerve, la voie était suffisamment large pour donner la possibilité à l'escorte de César de circuler dans le couloir ouvert à
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grands cris par les miliciens de la cohorte et des officiers de la garde prétorienne. Plus loin, \octophoron impériale, litiére portée par huit impressionnants Cappado-ciens de même taille, ne pouvait avancer qu'au pas, en bousculant la plébe qui, dans l'espoir d'apercevoir Néron, s'agglutinait autour du lit brandi au-dessus des têtes.
L'Empereur ne détestait pas ces bains de foule qui lui permettaient de mesurer sa popularité. Il savait que tant que celle-ci serait forte et dépasserait la faveur dont avaient joui ses prédécesseurs, il demeurerait le maître incontesté au palais et n'aurait pas trop à craindre de complots, mal endémique qui avait tant de fois décapité l'Empire.
Malgré les protestations de Tigellin, installé prés de lui dans la litiére, il fit lever les rideaux de cuir et de soie qui le protégeaient de la foule :
- quelle est cette crainte soudaine ? dit-il. Tu sais trés bien que je ne risque rien au milieu de mon peuple. C'est au Palatin que je dois me méfier. De toi d'abord, peut-être !
- César, tu m'offenses ! Tu connais mon dévouement !
- Ne t'offusque pas, Tigellin, je voulais simplement voir ta réaction !
Les voisins s'étaient groupés autour de la maison de Sevurus et firent une ovation à Néron lorsque deux des Cappadociens le portérent hors de sa litiére. L'Empereur pria Tigellin de rectifier les plis de sa toge qui s'étaient déplacés durant le voyage. Il eut un geste bonhomme pour la foule et donna l'accolade à Sevurus qui l'attendait à l'entrée du vestibule.
- L'honneur est grand pour moi, modeste instrument de ton génie créateur, de te recevoir dans ma maison. Souhaites-tu te rafraîchir, j'ai fait préparer des sirops et du vin, ou préféres-tu voir tout de suite le résultat éloquent de ton imagination fertile ?
- J'ai h‚te de découvrir cette maquette dont tu me rebats leb oreilles depuis si longtemps. Allons !
- L'atelier o˘ mon jeune associé Celer a dressé le pano-
-ama de tes rêves se trouve un peu plus loin dans la rue
-nais on peut y accéder par le jardin.
Ils traversérent le triclinium o˘ l'úil de l'Empereur, accoutumé à
reconnaître les belles choses, s'attarda sur les courbes de marbre d'une Aphrodite, et pénétrérent sans transition dans une forêt de fleurs et de plantes que partageaient d'étroits sentiers garnis de galets.
- quel merveilleux jardin ! dit Néron en s'extasiant sur les massifs de daturas, d'euphorbes géantes et de fuchsias savamment alternés. Je suis César et mon rôle m'oblige aux grandeurs, mais comme j'aimerais vivre à
votre échelle d'homme simple et raffiné !,
Sevurus sourit et ne répondit pas aux propos du plus mégalomane des Empereurs.
Celer les guettait devant l'atelier, un vaste hangar qu'on avait d˚
agrandir pour y faire tenir les proliférations successives de la demeure impériale. Néron le bouscula pour entrer dans son domaine miniaturisé qu'il embrassa du regard. L'acteur et le poéte se retrouvaient dans ce décor qu'il se mit soudain, comme pour en accroître la magie, à découvrir à
travers l'émeraude plate qui lui servait de monocle, le distinguait quand il le souhaitait du reste des humains et l'aidait à se plonger dans ses pensées.
- Tes idées ne sont pas trahies, j'espére ? dit Tigellin pour rompre le silence qui devenait pesant.
Il aurait mieux fait de se taire car il s'attira les foudres de son maître.
- quand cesseras-tu de me questionner sottement ? Tais-toi et laisse-moi go˚ter cet instant rare o˘ je domine mon úuvre comme jamais je ne pourrai le faire lorsqu'elle existera vraiment. Le Sénat m'a fait dieu mais c'est ici que je ressens ma suprématie. quand je pénétrerai dans l'un de ces palais que je peux aujourd'hui écraser d'une poussée de mon doigt, je ne serai qu'un homme. Aujourd'hui, je suis un géant !
Au bout d'un moment, Néron consentit à livrer sa pensée :
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- Sevurus, et toi, jeune Celer, vous avez bien travaillé. Votre projet me convient : c'est le mien. Vous lui avez donné des formes qui me paraissent agréables. Vous serez les architectes de cette úuvre qui perpétuera le nom de Néron ! Mais dépêchez-vous. Au moindre retard sur le calendrier que nous allons établir, vous serez remplacés.
- Nous sommes à tes ordres. César
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