Les dîners de Calpurnia

malade. Sans le maître, le projet qu'il avait conçu devenait irréalisable. Aucun autre architecte n'était capable de le poursuivre. Celer lui-même, qui avait participé à son élaboration, s'avouait impuissant.
    Soigné par Calpurnia, qui ne quittait pas son chevet, le vieil architecte s'en était remis aux dieux de la maison, demandant seulement chaque jour si César n'avait pas manifesté quelque mauvaise humeur. Mais César demeurait serein et se contentait de faire prendre des nouvelles de celui à qui il avait confié sa gloire posthume. Mieux, il lui avait envoyé son médecin personnel et, lorsque Sevurus commença à aller mieux, il lui fit cadeau d'une statue de gladiateur, úuvre d'un nommé Strongy-21

    lion, artiste grec de la bonne époque. Ce présent royal prit I la place d'honneur dans l'atrium et acheva de rétablir le malade qui, un matin, appela Celer pour lui dire que le travail reprenait.
    - Mais il n'a pas cessé, Sevurus. Nous avons continué de faire tout ce qui était possible sans toi, en fait rien d'essentiel, mais l'indispensable qui ne se voit pas et qui mange le temps. Tiens, j'ai presque terminé la maquette. Il n'y manque guére que le dôme que tu n'as pas encore dessiné.
    - Trés bien. J'ai de la chance d'être aussi bien secondé. A propos de ta maquette, quelle place occupe-t-elle dans l'atelier ?
    - Presque toute la place, dit Celer en rougissant.
    - Et comment penses-tu la transporter jusqu'au Palatin ?
    - Je ne sais pas, mon maître. Et pourtant elle est destinée à l'Empereur...
    - Alors il faudra que Néron vienne la voir ici !
    - Comment ? César dans la ruelle du Vélabre ? Ce n'est pas possible.
    - Tu verras si ce n'est pas possible ! Il suffira d'attiser la curiosité de Néron, de lui dire qu'il pourra découvrir d'un seul coup d'úil l'ensemble de son rêve réalisé et il se précipitera dans cette maison, celle d'un honnête homme dont il reconnaît la valeur puisqu'il lui offre une superbe statue ! Cela dit, il faut s'occuper du dôme !
    Une semaine plus tard, le fameux dôme dont Sevurus avait depuis longtemps en tête la forme, les cotes principales et le mécanisme qui devait en faire le triomphe de l'architecture néronienne, était entiérement dessiné sur un immense papyrus prêt à être confié aux hommes de l'art : tailleurs de pierre, charpentiers, maçons et mécaniciens qui, sous la surveillance de Sevurus et de Celer, allaient transformer un simple plan en une fabuleuse demeure impériale.
    Avant eux, Celer interpréta la représentation graphique de son maître pour réaliser sa maquette. A l'aide de
    glaise affinée, de poudre de chaux, de morceaux de bois sculptés, de colle de poisson, de lamelles de parchemin et de papier épais, il réalisa le dôme qui manquait à sa maquette. Le peintre Fabulus, un vieil ami de Sevurus, lui donna les teintes de l'or et de la lumiére comme il avait coloré l'eau du grand lac, les bosquets et même les fins oiseaux aux ailes de flamme qui se promenaient, nonchalants, sur l'herbe verte des rives aux courbes voluptueuses. La maquette en elle-même était un chef-d'úuvre. Sevurus se dit trés ému en découvrant transcendée sa pensée créative :
    - Il n'est plus besoin de construire la Domus Aurea. Jamais nous ne pourrons atteindre le merveilleux de ta réduction ! s'écria-t-il en redressant d'un de ses longs doigts un cyprés trop incliné. Je me demande ce que va dire Néron en voyant ses idées matérialisées ! Dés demain nous irons au Palatin pour lui montrer les derniéres ébauches et l'inviter à
    venir admirer son ouvrage. Car, ne l'oublie pas, à la seconde o˘ il se déclarera satisfait, notre travail de longs mois deviendra son úuvre !
    - Ce sera mieux ainsi, dit Celer. L'important, c'est de faire, ce n'est pas de posséder !
    - Bravo, mon fils ! J'aime t'entendre parler comme un philosophe. Encore que les philosophes se soucient bien peu de mettre leurs actes en accord avec leurs paroles. Regarde le sage Sénéque qui ne songe qu'à s'enrichir !
    Sevurus avait raison. Néron ne se fit pas prier pour venir découvrir la maquette et son arrivée ne passa pas inaperçue. Imaginez dans le dédale de ruelles en pente et l'enchevêtrement des voies qui menaient au Vélabre, quartier épargné par l'incendie, le cortége impérial se frayant un chemin dans la bousculade échevelée des colporteurs descendus du Trastevere, des gargotiers appelant une clientéle incertaine, des barbiers rasant en