Les dîners de Calpurnia

! dit Sevurus en s'inclinant.
    - Soyez seulement aux ordres de la beauté et de la grandeur. Ah ! ici vous placerez ma statue.
    Il désigna de l'index une place vide qui, entre les trois ailes d'un portique géant, représentait le vestibule du palais.
    - Je veux une statue de trente métres, au moins. Là, au centre historique de Rome, la lumiére ouverte à travers la Maison Dorée se réverbérera sur la ville par le phare de mon regard. Je serai le dieu dispensateur du rayonnement solaire !
    Néron, lyrique, continua de laisser vagabonder son imagination. Délirait-il ? Jouait-il un rôle dont il improvisait le texte en faisant de grands gestes qui agitaient les plis de sa toge ? Peut-être surprit-il le regard effrayé de Celer vers Sevurus ? Il s'arrêta net et dit à Tigellin :
    - Viens, nous rentrons.
    A la porte seulement, quand Sevurus s'inclina devant lui, il lança comme un ordre à un centurion : " C'est bien. Commence les travaux. Tigellin va faire venir à Rome des esclaves d'Afrique pour creuser le lac. Ah ! Il faut sans attendre mettre en úuvre la statue. C'est Zénodore qui doit s'en charger. Il est le seul qui ne le céde à aucun des Anciens, soit comme sculpteur, soit comme ciseleur. "
    Sans ajouter un mot, il se laissa installer dans sa litiére et donna le signal du départ au convoi impérial. La rue aussitôt retrouva son calme.
    Seuls, Sevurus et Celer se regardérent en hochant la tête, franchirent le vestibule et prirent place sur la banquette de Yatriifm.
    - que penser de la réaction de Néron ? demanda Celer.
    \u début il paraissait enchanté de notre travail. Je crois même qu'il a formulé quelques compliments. Et puis d'un coup, aprés son discours exalté, il s'est fermé comme une huître. A croire que nous n'existions pas. César me fait peur. Moins je verrai ce despote, mieux je me porterai !
    Le maître sourit :
    - Malheureusement, tu vas le voir souvent. Et pendant de longues années !
    Mais ne te fais pas de souci. C'est un être instable, il faudra subir ses lubies et attendre en silence qu'il redevienne aimable et généreux. Car il peut être affable et même familier. J'ai travaillé pour lui et me suis enrichi. Le projet qu'il nous confie dépasse tout ce qui a été entrepris jusqu'alors. Il va te rapporter beaucoup d'argent mais aussi te causer bien des tracas. Il te faut apprendre à connaître Néron, au moins essayer, car qui peut prétendre comprendre ce fils qui a assassiné sa mére Agrippine, pour éviter peut-être, il est vrai, qu'elle ne l'empoisonne comme l'Empereur Claude, son époux, et tant d'autres Romains qui gênaient son ascension au pouvoir ? qui peut prétendre comprendre ce César que certains soupçonnent d'avoir ordonné la mort de Britan-nicus1 ? Néron se prend pour un dieu. Mais c'est un dieu qui a peur, et cette peur, due sans doute à son atavisme, le rend dangereux.
    - Ne risquons-nous pas d'être victimes de cette folie ? Imagine qu'un jour notre travail ne lui plaise plus...
    - Personne à Rome n'est à l'abri d'une saute d'humeur de Néron. Mais nous sommes des privilégiés. César a besoin de nous pour réaliser le seul projet qui lui tienne vraiment à cúur avec ses fantaisies de poéte et de cabo-1. Les historiens s'accordent aujourd'hui pour réfuter les accusations de Suétone et de Tacite. Le jeune Britannicus est mort foudroyé à la fin d'un banquet o˘ il avait sans doute mangé et bu plus que de raison. Or aucun poison susceptible de provoquer une mort instantanée n'existait à l'époque (Dr Raymond Martin cité par Georges-Roux) et l'adolescent était sujet à des crises d'épilepsie qui risquaient d'entraîner une rupture d'anévrisme. La thése d'un accident innocenterait donc Néron d'un crime dont on l'accuse depuis prés de deux mille ans !
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    tin : ce palais et ce parc grandioses qui doivent le faire passer à la postérité. Le travail est notre sauvegarde. Je n'en dirais pas autant de personnages au pouvoir considérable qui vivent dans l'ombre de l'Empereur.
    Tiens, ce Tigellin qui semble avoir tant d'influence et qui a amassé une fortune. Il risque de se voir subitement invité par son maître à prendre le poison. Crois-moi, nous avons la chance d'exercer un métier difficile o˘ le talent est un gage de longue vie et qui ne suscite au Palatin ni jalousie ni concurrence. Il existe peut-être une centaine de sénateurs, de tribuns, de préfets, de richissimes chevaliers de l'ordre équestre prêts à tout