Les dîners de Calpurnia
limpidité cristalline.
- C'est bon de ne pas habiter un palais, dit Celer. Ici, tout est vrai, l'air est doux, les rumeurs de la ville ne passent pas la porte. En attendant l'heure du repas, veux-tu, cher Sevurus, que je te fasse la lecture d'un livre que je me suis fait copier chez le libraire Trivarus ?
- Peut-être. quel est ce livre ?
- Le Satiricon. Une critique amusante et osée des múurs du temps.
- De qui est-ce ?
- On dit que l'auteur en est Pétrone, mais qu'importé ! Le récit des vagabondages du jeune dévoyé Encolpe et de ses compagnons Ascylte et Giton est fort plaisant. Le ton est licencieux mais comique, mordant mais juste.
Est-ce le Pétrone de la cour que nous connaissons, le confident de Néron, l'arbitre des élégances, comme il se définit lui-même, qui a écrit ces histoires peignant les vanités de notre temps ? Ou bien l'auteur est-il un talent inconnu ou quelqu'un qui veut conserver l'anonymat ? Je vais te lire l'un des passages les plus cocasses : Le Festin de Trimal-cion.
Tandis que Sevurus écoutait en souriant Celer lui détailler d'une voix claire les épisodes du fabuleux festin, une jeune fille s'était approchée et tendait l'oreille... Elle était belle dans son péplum blanc laissant deviner des formes qui n'étaient déjà plus celles d'une adolescente.
L'ovale pur de son visage se fondait vers le haut avec sa coiffure de cheveux bruns finement tressés. Ses bras étaient longs et fins. Ceux qui la découvraient ainsi pour la premiére fois avaient envie de la voir danser.
Celer l'aperçut et referma le livre comme s'il était f‚ché :
- Calpurnia, ce n'est pas une lecture pour toi ! La jeune fille éclata de rire :
- Il est bien tard, vertueux Celer, pour contrôler mes choix poétiques.
Toutes les jeunes filles du centre universitaire de Rome ont lu le Satiricon de Petronius Arbiter.
- Comment, vous, jeunes Romaines, symboles de pureté, pouvez-vous déjà vous plonger dans l'eau sale des tares et des ridicules ? Cela me fait mal, Calpurnia, de savoir ternie l'innocence de ton visage d'ange.
Elle le regarda, rieuse, et se tourna vers Sevurus qui paraissait s'amuser.
- Tu entends, oncle Sevurus ? Celer me fait la leçon. Heureusement qu'il a parlé de l'innocence de mon visage. Jamais il ne m'avait dit quelque chose d'aussi gentil. Dans le fond, tu sais, Celer, cela me fait plaisir que tu t'intéresses à moi !
Elle se retourna en faisant voleter sa robe et s'enfuit, annonçant qu'elle avait faim et qu'elle allait voir si le repas était prêt.
Celer, lui, semblait ailleurs. Ses yeux, entraînés à épouser l'arc des vo˚tes et à mesurer à unpes} prés la hauteur d'une colonne, fixaient la porte du tablinum2 par laquelle Calpurnia venait de sortir.
- Tu la trouves jolie, ma niéce ? demanda Sevurus. quand je vous vois tous les deux vous disputer comme súur et frére, je me dis que vous n'êtes ni frére ni súur et que si un jour vous vous épreniez l'un de l'autre ce serait la plus grande joie qui puisse couronner ma vieillesse.
- D'abord tu n'es pas vieux. Ensuite Calpurnia est bien jeune pour que je pense à elle comme à une femme. Elle a beau avoir lu le Satiricon, c'est une enfant.
- Oui, mais les enfants grandissent vite... Tu t'en apercevras bientôt.
Ah ! Pourvu que vous vous aimiez ! Mais je radote. Tu es assez grand pour constater qu'elle te regarde comme son bien. Ne me décevez pas !
1. Le pes ou pied romain, unité de longueur (0,2944 m).
2. Le tablinum, à l'origine en bois : piéce-bureau du maître de maison.
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En fait Calpurnia n'était pas la niéce de Sevurus. Fille d'une affranchie d'Arria, une Phrygienne morte alors qu'elle n'avait que neuf ans, l'enfant était restée dans la famille, considérée par Sevurus et son épouse comme la fille de la maison. Vive, intelligente, spontanée, elle avait su saisir la perche que lui tendait Arria, femme bonne et cultivée qui lui avait appris beaucoup plus de choses que n'en savaient la plupart des jeunes Romaines.
Plus tard, c'est Sevurus qui l'avait initiée au calcul et à la géométrie avant de l'envoyer suivre les cours des philosophes à l'université. Il n'était pas possible d'adopter une fille, mais un mariage avec Celer dont l'adoption, elle, ne posait pas de probléme, pouvait permettre à la jeune fille de demeurer dans la famille et de devenir une affranchie bourgeoise et riche. Car Sevurus était riche. A Rome, si le talent de l'architecte n'était pas toujours
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