Les dîners de Calpurnia

captivante au Vélabre. Pline qui rentrait de Gaule dit qu'il avait vu un ouvrage romain absolument extraordinaire dans un site merveilleux : le pont du Gard construit sur l'ordre d'Agrippa, le gendre d'Auguste.
    - Cet aqueduc qui s'éléve dans le ciel comme une dentelle de pierre formée de trois hauteurs d'arches a presque cent ans mais on croirait qu'il a été
    fini hier. Combien de temps dureront nos monuments, monsieur l'architecte ?
    Les Romains construisent-ils pour l'éternité ?
    - C'est la question que se posait souvent Sevurus, répondit Celer. Il pensait que les écrits survivraient à l'érosion des siécles parce qu'ils peuvent être recopiés à l'infini tandis que les pierres périraient victimes des vents, des pluies et surtout des guerres. Je crois qu'il avait raison.
    On lira encore l'Histoire naturelle que depuis longtemps l'amphithé‚tre des Flaviens se sera écroulé.
    Celer, ensuite, radonta son entrevue avec Vespasien. L'enthousiasme qu'il manifesta plut beaucoup à Pline qui admirait l'Empereur donné à Rome par les dieux au moment o˘ la nation devait se relever pour ne pas mourir.
    - Et Titus ? demanda-t-il. que penses-tu de celui qui succédera à
    Vespasien ?
    - J'ai entendu dire que la guerre juive l'avait m˚ri et grandi. Plus jeune, sa réputation n'était pas bonne, les mauvaises langues voyaient en lui un nouveau Néron,
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    débauché et cruel. Aujourd'hui, il me paraît être le digne fils de son pére ; réfléchi, clairvoyant et efficace.
    - Tu as raison. Il aide maintenant Vespasien dans tous les domaines de sa charge et gouverne Rome avec lui. L'avenir de l'Etat semble assuré pour de longues années.
    Il était tard. Pline, avant de prendre congé et de monter dans sa litiére, tint à revoir Terentia. La petite fille dormait paisiblement.
    - Vous voyez, dit-il, le meilleur reméde pour guérir les enfants est bien de ne rien faire, de laisser la nature jouer son rôle bienfaisant.
    - J'ai pourtant fait quelque chose, dit Calpurnia. Tout le monde la regarda, étonné.
    - Et quoi donc ? demanda Pline.
    - J'ai prié le dieu des chrétiens. Puisqu'il avait fait des miracles en parcourant la Judée avec ses disciples, je l'ai supplié de sauver ma petite fille. J'ai perçu alors une voix douce qui me demandait : " As-tu la foi ?
    " Je n'ai pas bien compris mais j'ai répondu " oui ". quand Pline est arrivé, la petite allait mieux, la fiévre était presque complétement tombée. Je me suis alors retirée quelques instants, me suis agenouillée dans le cellier voisin et ai remercié Celui à qui je venais de faire appel.
    - As-tu entendu à nouveau la voix qui t'avait parlé ? demanda Celer.
    - Non, elle ne s'est pas manifestée.
    - Considéres-tu que tu as pris un engagement en répondant que tu avais la foi ? Par exemple celui de te convertir, de te faire baptiser au cours d'une des réunions que tiennent les chrétiens dans les catacombes ?
    C'est Pline qui avait parlé et on le devinait, à son ton, touché et préoccupé par la confession de Calpurnia.
    - Je n'ai pas envisagé ma démarche sous cet angle, répondit-elle. Mais j'ai conscience qu'il s'est passé quelque chose d'extraordinaire.
    - Réfléchis bien avant de te lier aux chrétiens, dit Pline. Leur dieu n'est pas comme l'un de nos lares qu'on sollicite à tout bout de champ et qui n'occupent dans les
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    esprits guére plus de place qu'un objet familier. Pour ses adorateurs, il est unique, tout-puissant et exigeant. Ils sont prêts à mourir pour celui qui les transfigure et bouleverse leur vie. J'ai rencontré jadis, au cours d'un de mes voyages en Asie, un nommé Sa˘l, un Juif qui haÔssait les chrétiens au point de les persécuter et qu'une voix avertit alors qu'il se rendait à Damas. Cette révélation le changea subitement en un ardent propagateur de la foi chrétienne. J'avoue que son éloquence m'a ébranlé à
    l'époque. Il a converti au cours de ses voyages à Chypre, à Césarée, à
    Antioche, à Jérusalem et même à Rome d'innombrables fidéles juifs et paÔens. Finalement il a été condamné et exécuté, sous Néron, avec les chrétiens rendus responsables de l'incendie de Rome, en compagnie d'un autre apôtre que le Christ avait baptisé Pierre et qui demanda, au moment de subir son martyre, à être crucifié la tête en bas de peur qu'on ne cr˚t qu'il affectait la gloire de son maître. Depuis les prêches de Pierre et Paul, il est vrai que la nouvelle religion fait des adeptes un