Les dîners de Calpurnia
peu partout dans le monde et en particulier à Rome. Tout cela pour te dire, Calpurnia, que Jésus-Christ n'est pas un dieu comme les autres, qu'on va célébrer, telle Isis que tu aimes bien, entre une séance aux thermes et un festin chez un ami. De plus, c'est une foi à haut risque. Les persécutions de Néron et de Tigellin ont été terribles mais courtes. Personne, à commencer par Vespasien, ne penserait aujourd'hui à envoyer un homme à la mort parce qu'il est chrétien. Aujourd'hui. Mais demain ? Le jour o˘ les convertis seront devenus assez nombreux pour inquiéter le pouvoir, je suis s˚r que les persécutions recommenceront, plus cruelles.
Ce soir-là, Calpurnia eut beaucoup de mal à s'endormir. Elle avait été
plusieurs fois tentée d'approcher les mystéres du christianisme. La guérison de Terentia était-elle un nouvel appel ? Pourrait-elle ou voudrait-elle, cette fois, renoncer à y répondre ? Elle éprouva le besoin de se confier à quelqu'un. Mais qui, en dehors de Pline qui partait le lendemain rejoindre son poste de préfet de la
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flotte de Miséne, pouvait l'entendre ? Sevurus, l'oncle, le pére, le confident de toujours n'était plus là. Celer ne croyait qu'à la mystique de l'architecture, Juvénal et Martial ne croyaient à rien... Entre Isis, la kyrielle des dieux romains et le Christ ressuscité, Calpurnia était perdue.
Elle se retrouva dans le rêve qui l'endormit.
Vespasien, qui avait déjà revêtu sept fois le consulat avec Titus comme associé au gouvernement de l'Empire, poursuivait avec opini‚treté l'úuvre de résurrection de Rome à laquelle il avait voué la fin de sa vie. En quelques années il avait rendu au Sénat sa légitimité aprés une épuration sévére, réformé l'armée en nommant de grands chefs et en la ramenant à la discipline, donné une charte au pouvoir impérial. Cette derniére entreprise avait été difficile. Vespasien n'avait pas le prestige de la naissance ni l'autorité héréditaire des empereurs de la dynastie julio-claudienne.
Proclamé César par son armée, il lui avait fallu convaincre la société
civile et lui faire admettre que le pouvoir impérial, renforcé, devenait héréditaire, ce qui signifiait la naissance d'une nouvelle dynastie. Enfin, Vespasien avait accompli sa mission la plus urgente et la plus compliquée : la restauration des finances. Sa réussite dans ce domaine, obtenue en rétablissant les impôts supprimés par Galba et même en les augmentant, lui valait, on l'a vu, la réputation d'un être cupide capable de tout pour obtenir de l'argent. Son ingéniosité, il est vrai, n'avait pas eu de limites pour arriver à rassembler les quatre milliards de sesterces nécessaires au redressement financier de l'Empire. Il avait ainsi transféré
au temple de Jupiter Capitolin, c'est-à-dire à l'Etat, le didrachme acquitté annuellement par les Juifs de l'Empire comme contribution religieuse au temple de Jérusalem, devenue sans objet aprés sa destruction.
Comme on comptait environ cinq millions de Juifs dans l'Empire, cette ressource nouvelle n'était pas négligeable. Non plus d'ailleurs que l'impôt sur l'urine, vectigol urinú, taxe que devaient
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payer les utilisateurs d'urinoirs installés dans les rues par les édiles1.
C'est d'une autre initiative impériale dont on discutait ce jour-là au Vélabre o˘ étaient réunis, outre les commensaux habituels, Martial et Juvénal, le neveu de Pline qu'on appelait " le jeune " pour le distinguer de son oncle, quintilien, l'orateur, dont Calpurnia appréciait beaucoup l'esprit, et un nouveau venu dans la maison, Cornélius Tacitus, ami du jeune Pline et de Juvénal. Comme eux, Tacite était un brillant jeune homme qui avait vécu les mêmes péripéties politiques, le néronisme et les désastres qui avaient précédé l'avénement de Ves-pasien. Contrairement à
ses amis, sa famille, d'ordre sénatorial trés aisé, le destinait, bien qu'il f˚t féru d'histoire et de littérature, à une carriére dans l'administration de l'Empire. Il écrivait mais ne publiait pas. D'ailleurs, Vespasien venait de lui confier l'une des charges du vigintivirat2 et il n'avait nul besoin de diffuser des úuvres qui, disait-il, ne le satisfaisaient pas entiérement : " On verra plus tard, expliquait-il. Pour le moment j'apprends, je regarde, je prends des notes. Et si un jour je publie une úuvre, elle sera historique3. "
- Nous avons eu tort de nous inquiéter, dit Juvénal.
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