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Les disparus

Titel: Les disparus Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Daniel Mendelsohn
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le mot que je traduis par « année » est Lebensjahr, qui signifie littéralement « année de vie », et ce choix de mot,
bien qu'il soit courant, évidemment, et qu'il n'y ait pas de doute dans mon
esprit sur le fait que Shmiel n'y a pas réfléchi à deux fois quand il l'a
écrit, me paraît remarquable, sans doute parce que je sais que, en ce jour de
printemps où la photo a été prise, il ne lui restait que quatre de ces années
de vie à vivre.
     

     
    Par conséquent, nous connaissions
quelques noms et une date. Après la mort de mon grand-père, certains documents
se rapportant à Shmiel, ainsi que d'autres photos qu'aucun d'entre nous
n'avions encore vues, sont entrés en notre possession, et c'est seulement
lorsque nous avons trouvé ces documents et vu ces photos que nous avons
finalement appris, ou cru que nous apprenions, les noms des autres filles. Je
dis « cru que nous apprenions » parce que, en raison de certaines
particularités de l'écriture désuète de Shmiel (par exemple, sa façon d'ajouter
une minuscule ligne horizontale en haut de ses l cursifs, ou bien de
faire un y final comme nous écririons aujourd'hui un z final, si
nous nous donnions la peine d'écrire des lettres à la main en cursive), nous
avions, je l'ai appris ensuite, mal lu un des noms. C'est pourquoi, pendant longtemps, en fait pendant les vingt années qui ont suivi la mort de
mon grand-père, nous avons pensé que les noms
des quatre filles superbes de Shmiel et d'Ester étaient les suivants :
     
     
    Lorca
    Frydka (Frylka ?)
    Ruchatz
    Bronia
     
     
    Mais, comme je l'ai dit, c'est
arrivé après la mort de mon grand-père. Jusque-là, j'avais pensé que tout ce
que nous saurions jamais à leur sujet consistait en une date, le 19 avril, et
trois noms, Sam, Ester, Bronia ; et, bien entendu, leurs visages qui regardaient
depuis ces photos, solennels, souriants, candides, composés, inquiets,
oublieux, mais toujours silencieux, et toujours noirs, et gris, et blancs.
Ainsi, Shmiel et sa famille, ces parents disparus, trois d'entre eux sans nom,
semblaient follement ne pas être à leur place, absence étrange, grise, au cœur
de cette présence très vivante, bruyante et souvent incompréhensible, au cœur
de ces conversations et de ces histoires ; chiffres immobiles et sans paroles,
au sujet desquels, au milieu des parties de mah-jong, des ongles rouges, des
cigares, des verres de whiskey avalés au moment de la chute d'une histoire en
yiddish, il est impossible d'apprendre quoi que ce soit d'important, si ce
n'est ce fait saillant, cette chose horrible qui s'était passée et qui était
résumée sous cet unique label, tués par les nazis.
     

     
    BIEN AVANT QUE nous sachions tout cela, à l'époque où la simple vue de mon
visage suffisait à faire pleurer des adultes, bien avant que je commence à
tendre l'oreille pour écouter des propos murmurés au téléphone, bien avant ma
bar-mitsva, il faut avouer que je n'étais, au mieux, que vaguement curieux,
assez peu intéressé par lui, par eux, en dehors peut-être du léger ressentiment
provoqué par le fait que cette ressemblance physique faisait de moi une cible
pour ces vieilles personnes qui voulaient m'attraper, me serrer, dans ces
appartements qui sentaient le renfermé où nous entrions, pendant ces vacances
d'été et d'hiver, apportant des boîtes de chocolat et d'oranges confites qui
étaient jaunes et vertes et rouges autant qu'orange, ce qui était merveilleux.
    La plupart de ces personnes
étaient inoffensives et certaines étaient très amusantes. Sur les genoux de ma
grand-tante Sarah, la sœur de la mère de mon père, je restais assis, quand
j'avais six, sept ou huit ans, ravi de jouer avec ses perles, et secrètement
mais fermement décidé à voir mon reflet sur la surface brillante de ses ongles
rouges chinois pendant qu'elle jouait au mah-jong avec ses trois sœurs, qui
étaient très proches. J'ai un vague souvenir de la maison dans laquelle elle
vivait à Miami. Dans ce souvenir, j'avais peut-être cinq ans. A l'intérieur,
les adultes et les personnes âgées parlaient de ce dont parlent les adultes et
les personnes âgées : les histoires de famille, les récits murmurés des
mariages précédents ; les noms des parents auxquels nous ne parlions plus.
J'étais sorti pour échapper à la conversation des adultes et je jouais sur une
petite pelouse avec mon frère aîné, celui dont le prénom hébraïque était Shmiel, fait dont j'étais

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