Les disparus
conversations à la fois murmurées
et vives, ces mots avec leurs étranges diphtongues plaintives du pays
d'autrefois qui provoquaient chez nous de la gêne et nos moqueries. TOOOYYYYBBBBB, criait-on en tournant en rond et en ricanant, TOYB TOYB TOYB ! J'ai
grandi en entendant ma mère parler en yiddish à ses parents et j'ai été capable
de reconnaître certains mots et certaines phrases assez vite ; mais d'autres
– comme vairebinichegraffepototskie, que mon grand-père disait
avec un sourire amusé si vous lui demandiez, disons, cinq cents pour acheter un
chewing-gum, ou toyb ! – avaient une sonorité si ridicule que
nous autres, frische yingelach, nous ne pouvions que rire en les
entendant.
Impertinents, nous l'étions
peut-être, mais dans ces cas-là je n’ai jamais été réprimandé. Personne ne vous
grondait pour avoir essayé d'échapper à Herman le Coiffeur, depuis que, dans
son état de confusion, il avait donné à mon frère – celui qui avait tiré
les moustaches d'un autre vieillard – tout un rouleau de Tums, un
médicament contre les brûlures d'estomac, pensant que c'était des bonbons, et
que mon frère avait vomi pendant deux jours. Il fallait être gentil avec les
autres vieilles personnes ; mais Herman le Coiffeur, on vous permettait de
l'éviter et, après quelques autres voyages en Floride quelques étés et hivers
de plus, il n'était plus là quand nous venions, et nous n'avons plus
jamais eu à nous faire du souci à cause de lui.
2
Création
C’EST LE JOUR de ma bar-mitsva que
la quête a commencé. Comme n'importe quel autre enfant juif que je connaissais,
j'avais reçu une vague éducation religieuse. C'était en grande partie pour
apaiser mon grand-père, toutefois, puisque l'éducation juive réformée qui
m'était dispensée était tellement diluée, tellement dénaturée, en comparaison
de la formation héder, rigoureusement orthodoxe, qu'il avait reçue, des
décennies plus tôt, que mes trois frères et moi aurions pu être, selon lui,
tout aussi bien éduqués par des prêtres catholiques. Cette éducation, qui avait
pour but de nous préparer pour le jour de notre bar-mitsva, ce que nous
faisions aussi essentiellement pour faire plaisir au père de notre mère, était
divisée en deux phases.
A l'âge de neuf ou dix ans
environ, nous avions dû aller à l'école du dimanche, un cours hebdomadaire qui
avait lieu dans la cave d'un motel local, devenu tristement célèbre par la
suite puisque c'était là que la fameuse chanteuse pop italo-américaine, Connie
Francis, avait été violée en 1974, après un tour de chant dans une salle de
concerts du coin. Dans la cave de ce bâtiment peu attrayant, M. Weiss, un homme
très grand et très aimé, nous apprenait l'histoire juive et les histoires de la
Bible, le nom et la signification des fêtes.
Un grand nombre de ces fêtes, je m'en
étais alors rendu compte, étaient des commémorations du fait d'avoir, chaque
fois, échappé de justesse aux oppressions de différents peuples païens, des
peuples que je trouvais, même à ce moment-là, plus intéressants, plus
engageants et plus forts, et plus sexy, je suppose, que mes antiques ancêtres
hébreux. Quand j'étais enfant, à l'école du dimanche, j'étais secrètement déçu
et vaguement gêné par le fait que les Juifs de l'Antiquité étaient toujours
opprimés, perdaient toujours les batailles contre les autres nations, plus
puissantes et plus grandes ; et lorsque la situation internationale était
relativement ordinaire, ils étaient transformés en victimes et châtiés par leur
dieu sombre et impossible à apaiser. Quand vous avez un certain âge ou que vous
êtes un enfant d'un certain genre – bizarre, peut-être ; peut-être le
genre d'enfant que les autres enfants, plus grands, tourmentent –, vous
n'avez pas envie de passer vos loisirs à lire des histoires de victimes, de
perdants. Ce qui me paraissait bien plus attirant, quand j'étais enfant, puis
adolescent, c'était les civilisations de ces autres peuples de l'Antiquité, qui
avaient l'air de beaucoup s'amuser et qui, apparemment, étaient les oppresseurs
des Hébreux. Quand nous avons lu l'histoire de Pâque et la fuite d'eretz
Mitzrayim, la Terre d'Egypte, j'ai rêvé des Egyptiens, avec leurs poèmes
d'amour séduisants et leurs vêtements de lin transparents, leurs dieux de la
mort à tête de chacal et leurs cercueils en or massif; quand nous avons lu
l'histoire de Pourim, du
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