Les disparus
triomphe d'Esther sur le méchant vizir persan Haman,
j'ai fermé les yeux et pensé aux splendides raffinements des Mèdes, aux
bas-reliefs de Persépolis, avec leurs descriptions répétitives hypnotiques
d'innombrables vassaux portant de belles robes et des barbes frisées et
parfumées. Quand j'ai lu l'histoire du miracle qui est commémoré chaque année à
la fête de Hannoukah, l'huile sainte du Temple miraculeusement
préservée, dont le volume est augmenté au cours des huit jours qui suivent la
profanation du lieu saint par un tyran grec de la période hellénistique, j'ai
pensé à la sagesse et aux bénéfices potentiels de la politique d'hellénisation
d'Antioche IV, à la façon dont ils auraient pu apporter la stabilité dans cette
région constamment agitée.
C'était ce que je pensais à
l'époque. Mais aujourd'hui je peux voir que la véritable raison pour laquelle
je préférais les Grecs, pardessus tous les autres, aux Hébreux, c'était que les
Grecs racontaient les histoires comme les racontait mon grand-père. Lorsque mon
grand-père racontait une histoire — par exemple, celle qui se terminait par Mais
elle est morte une semaine avant de se marier — il ne recourait pas au
procédé évident de commencer par le commencement et de finir par la fin ; il
préférait la raconter en faisant de vastes boucles, de telle sorte que chaque
incident, chaque personnage, mentionné pendant qu'il était assis là, sa voix de
baryton déchirante oscillant sans cesse, avait droit à sa mini-histoire, à une
histoire à l'intérieur de l'histoire, un récit à l'intérieur du récit, de telle
sorte que l'histoire ne se déployait pas (comme il me l'a expliqué un jour)
comme des dominos, une chose se produisant après une autre, mais plutôt comme
des boîtes chinoises ou des poupées russes, chaque événement en contenant un
autre, qui à son tour en contenait un autre, et ainsi de suite. D'où le fait,
par exemple, que l'histoire qui expliquait pourquoi sa sœur superbe avait été
obligée d'épouser son cousin laid et bossu commençait, nécessairement du point
de vue de mon grand-père, par l'histoire de son père mourant brutalement, un
matin, dans le spa de Jaremcze, puisque c'était après tout le début de la
période difficile pour la famille de mon grand-père, des années terribles qui
allaient en définitive forcer sa mère à prendre la décision tragique de marier
sa fille au fils bossu de son frère, en paiement du prix du passage en Amérique
pour commencer une nouvelle vie, mais tout aussi tragique au bout du compte.
Bien entendu, pour raconter l'histoire de la façon dont son père était mort
brutalement, un matin, à Jaremcze, mon grand-père devait s'interrompre pour
raconter une autre histoire, l'histoire de lui et de sa famille, à la période
faste, passant des vacances dans certains spas magnifiques à la fin de chaque
été, par exemple à Jaremcze, sur les contreforts des Carpates, quand ils
n'allaient pas au sud mais à l'ouest, dans les spas de Baden ou de Zakopane, un
nom que j'adorais. Ensuite, pour donner une meilleure perception de ce qu'était
la vie à l'époque, pendant cette période dorée d'avant 1912 et la mort de son
père, il repartait plus loin dans le temps pour expliquer ce qu'avait été son
père dans leur petite ville, quel respect il avait inspiré et quelle influence
il avait exercée ; et cette histoire, à son tour, l'emmenait au tout début, à
l'histoire de sa famille à Bolechow depuis que les premiers Juifs y étaient
arrivés, depuis la période où Bolechow n'existait pas encore.
L’une après l'autre, les boîtes
chinoises s'ouvraient, et je restais assis à contempler chacune d'elles,
hypnotisé.
Il se trouve que c'est précisément
la façon dont les Grecs racontent leurs histoires. Homère, par exemple,
interrompt souvent la marche en avant de l’Iliade, son grand poème
épique, pour remonter dans le temps et parfois dans l'espace, afin de rendre
toute la richesse psychologique et la profondeur émotionnelle des débats, ou
afin de suggérer, comme il le fait parfois, que le fait de ne pas connaître
certaines histoires, le fait d'ignorer l'intrication des histoires qui, à notre
insu, forment le présent, peut être une grave erreur. L'exemple le plus célèbre
est peut-être celui de l'épisode du début du poème qui oppose les deux
guerriers, Glaucos et Diomède : alors que le Grec et le Troyen s'apprêtent à
combattre, chacun d'eux
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