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Les disparus

Titel: Les disparus Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Daniel Mendelsohn
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jaloux. Andrew et moi jouions sur la pelouse avec ces
poupées militaires en plastique populaires à l'époque, appelées G.I. Joe, et
j'étais terriblement excité par un accessoire que mes parents venaient de
m'acheter, sans doute pour que nous restions tranquilles, les garçons, parce
qu’ils parlaient de ce dont ils pouvaient bien parler. Cet accessoire était une
mitrailleuse en plastique gris, montée sur un petit trépied en plastique.
J'avais soigneusement placé ma mitrailleuse sur le bord d'un petit fossé et
j'avais commencé à mitrailler le G.I. Joe de mon frère ; au début, mon frère
avait joué le jeu et je dois admettre que la vue de son soldat tombant dans le
fossé m'avait donné une sombre sensation de puissance, qui me réjouissait
puisqu'il était l'aîné après tout et que je n'avais pas l'habitude de prendre
le dessus. Mais, mon frère et moi, nous nous sommes ensuite disputés pour la
possession de la mitrailleuse en plastique. Brusquement, il me l'a arrachée de
la main – il avait huit ans, je n'en avais que cinq – et l'a jetée
dans une bouche dégoût toute proche. J'ai couru en hurlant à l'intérieur de la
maison où se trouvaient les adultes, et ma grand-tante Sarah m'a pris sur ses
genoux et très vite j'ai été consolé.
    Mais certaines de ces vieilles
personnes juives, nous savions, enfants, en dépit de notre jeune âge, qu'il
fallait les éviter à tout prix. Il y avait, par exemple, Minnie Spieler, la
veuve du photographe, avec son nez et ses doigts comme des griffes, et les
étranges vêtements de « bohémienne » qu'elle portait ; Minnie
Spieler, pour qui était réservé, dans notre cimetière de famille du Queens, un
rectangle de sable lisse, avec une petite pancarte plantée dans le sol qui
disait réservé à mina spieler ,
ce qui avait le don de nous terrifier lorsqu'on y allait tous les ans et qu'on
nous faisait poser des pierres sur les tombes de nos parents morts, et je me
demandais, avec ressentiment, ce qu'elle pouvait bien faire dans le cimetière
de notre famille. Minnie, vous ne vouliez surtout pas lui parler ; elle vous
prenait le bras dans ses mains en forme de pinces de crabe au cours de ces
réunions et elle vous regardait intensément dans les yeux, comme quelqu'un qui
a perdu quelque chose et qui espère que vous pourrez peut-être l'aider à la retrouver
; et quand elle s'apercevait que vous n'étiez pas ce qu'elle cherchait, elle se
retournait brusquement et partait rôder dans la pièce voisine.
    Il y avait donc des gens comme
Minnie Spieler, qui avait cessé de venir aux réunions de famille, au bout d'un
certain temps – elle avait, disait-on, déménagé en Israël –, ce qui
explique pourquoi il ne m'est plus jamais venu à l'esprit de demander de ses
nouvelles.
    Mais la vieille personne qu'il
fallait éviter plus que toute autre, c'était l'homme que nous ne connaissions
que sous le nom de Herman le Coiffeur. Lors de ces réunions, au cours desquelles je
pouvais, de temps en temps, faire pleurer les gens, ce Herman le
Coiffeur faisait son apparition, minuscule et ratatiné, voûté, vieux à un point
inimaginable, plus vieux même que mon grand-père, et il essayait de vous
murmurer des choses — ou, je devrais plutôt dire, de me murmurer des choses,
parce que j'ai toujours eu l'impression que c'était sur moi qu'il se ruait,
s'il est possible d'employer ce verbe pour décrire sa démarche traînante, mais
décidée ; c'était vers moi qu'il avait l'habitude de se diriger, essayant de
m'attraper une main ou un bras, souriant et faisant claquer ses dents qui, je
m'en rends compte à présent, n'étaient pas les siennes, murmurant des choses en
yiddish, quand il finissait par se rapprocher, et que je ne pouvais donc pas
comprendre. Evidemment, je m'éloignais dès que je pouvais me dégager de
l'espace entre le mur et lui, et je me précipitais dans les bras de ma mère,
qui me donnait un demi-cercle parfait d'orange confite de couleur verte,
pendant que, dans l'autre coin de la pièce, Herman riait avec un autre des
anciens habitants de Bolechow, les Juifs de la ville dont venait ma famille,
pointant le doigt vers moi, souriant avec indulgence et disant que j'étais un frische
yingele, un petit garçon impertinent. Je m'éloignais de lui et je
rejoignais mes frères, et nous faisions nos petits jeux idiots, qui
consistaient parfois à se moquer des mots bizarres qui fusaient de temps en
temps dans l'atmosphère, au-dessus de leurs

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