Les disparus
cascher qui était servie,
les spectacles sans fin à bord, il yavait aussi l'histoire du moment tant
attendu des retrouvailles. Car , lorsque le grand paquebot a accosté, mon
grand-père a perdu patience dans la queue des douanes et, ayant aperçu son
frère dans la foule, de l'autre côté de la grande salle, a pris ma grand-mère
par la main et l'a poussée à travers les douaniers israéliens alignés et les
officiers de l'immigration, en leur disant, à sa manière bien à lui, Je n'ai
pas vu mon frère depuis trente ans et ce n'est pas vous qui allez m'en empêcher
maintenant ! Ou alors arrêtez-moi !
Et c'est comme ça que mon grand-père a fait son entrée en
Israël . Dans ce tout nouveau pays, qui était simultanément très ancien,
ma grand-mère et lui ont passé une année entière. Ma mère vous dira encore
aujourd'hui que, à l'époque, quand les gens ordinaires ne faisaient pas
facilement des appels téléphoniques transatlantiques, son père l'a appelée deux
fois d'Israël : la première, lorsque ma grand - mère et lui sont arrivés
et, la seconde, le jour de l'anniversaire de ma mère. Le fait d'être dans un
pays étranger n'avait pas empêché mon grand-père d'être lui-même, d'être le
genre de personne qui aime faire de beaux gestes... d'être un Jäger. Comme il
avait un instinct impeccable pour le geste approprié, qu'il soit sentimental ou
comique ( Bon , Marlene, tout d'abord tu ferais mieux d'arrêter de
pleurer, parce que tu sais que tu es moche quand tu pleures... ), il avait
tendance à faire naître , chez les gens qui appréciaient ce trait de son
caractère, un désir identique de faire des beaux gestes pour lui. Par exemple :
mon grand - père avait toujours adoré les oiseaux. Quand j'étais enfant et
qu'il venait nous rendre visite pendant l'été, nous allions le chercher à
Kennedy Airport, lui et tous les bagages qu'il transportait, les nombreuses
valises et la mallette spéciale qui contenait ses pilules, la seule chose qu'il
voulait porter lui-même, après que mon père, exaspéré peut-être, mais
silencieux, avait tout chargé dans la voiture, c'était la grande cage au sommet
arrondi de Shloimeleh, le canari. Salomon. Pourquoi cet oiseau s'appelle-t-il
Shloimeleh ? lui avais-je demandé un matin de juillet, quand j'avais quinze ans
et qu'il était en train de me dicter (parce que je savais taper à la machine,
parce que je m'intéressais beaucoup à sa famille, parce que cela aurait embêté
ma mère s'il lui avait demandé de le faire, parce que j'étais heureux de passer
le moindre moment seul avec lui) cette longue liste d'instructions concernant
ce qui devait se passer à sa mort, un événement auquel il pensait souvent, mais
avec bonne humeur, un peu comme on pense à la visite, dans un avenir lointain
et néanmoins certain, d'un ami d'enfance avec qui, on le sait, la conversation
va s'épuiser rapidement.
Si je devais mourir un samedi ou un vendredi dans la
nuit,
(me faisait-il taper)
s'il vous plaît, ne déplacez pas mon corps jusqu'au
samedi soir, après le coucher du soleil. Le Chewra Kadishu devrait accomplir le
rite funéraire, pas les pompes funèbres. Donnez-leur cent dollars pour le
faire. Assurez-vous de faire venir un Juif pour me veiller cette nuit-là et de
dire le Thilim. Envoyez immédiatement cent cinquante dollars à
Beth Joseph
Zvi
, à Jérusalem en Israël, à l'attention de M. Davidowitz pour qu’il dise
le kaddish pour moi pendant toute l'année. Mon nom est Abraham ben Elkana. S'il
vous plaît, utilisez mon grand tales pour l'enterrement.
Pourquoi l'oiseau s'appelle-t-il Shloimeleh ? avait-il répété, une fois signé ce document avec le stylo à plume bleu dont il
aimait se servir. Pourquoi pas ? Parce que c'est l'oiseau le plus intelligent
auquel j'aie jamais parlé.
C'était parce que mon grand-père aimait tant les oiseaux que
son frère Itzhak, qu'il aimait tant et qui, de toute évidence, l'aimait aussi,
avait construit pour lui, lorsque ma grand-mère et lui avaient passé cette
année en Israël, un pigeonnier sur le toit de leur maison, afin que mon
grand-père pût aller s'asseoir et regarder les pigeons tous les soirs, au
crépuscule.
Il y avait d'autres histoires sur le voyage en Israël,
histoires dans lesquelles mon grand-père apparaissait, bien entendu, comme le
héros grandiose ou très malin. Par exemple, il y avait cette histoire où, ma
grand-mère s'étant retrouvée à court d'insuline, son
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