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Les disparus

Titel: Les disparus Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Daniel Mendelsohn
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l'argent gâché que j'aurais mieux fait de dépenser pour mes enfants. Comment vont les enfants ? était toujours la question qu'elle
m'assenait, dès qu'elle s'était assise sur son fauteuil aux allures de trône, à
côté de l'étagère remplie des photos de son fils et de ses enfants. L'enfant,
l'enfant, tout le monde m'a dit que je devais sauver l'enfant, avait-elle
dit un jour en pleurant, assez peu de temps après notre rencontre, le jour où
elle m'avait raconté combien elle se sentait coupable de n'avoir pu sauver
personne d'autre. Trois ans plus tard, le jour où je suis allé la voir pour la
régaler des histoires de mon odyssée en Europe centrale, je buvais mon thé
glacé quand elle a dit, en souriant et sans humour, Pas de Juifs, j'imagine.
Nous tous ici ou bien dans la tombe.
     
     
    depuis une gare sale
et lugubre datant de l'ère soviétique à Prague, où le vieillard décati et
agressif qui ne cessait de nous importuner s'est révélé être un porteur, nous
sommes allés, en un trajet de quatre heures, jusqu'à Vienne, une ville que
j'adore, surtout parce qu'elle figure, même si c'est de façon anecdotique, dans
certaines histoires de ma famille (Mon père, avait l'habitude de me dire
mon grand-père, allait à Vienne une fois par an pour ses affaires et, oh,
les cadeaux qu'il nous rapportait, les jouets, les bonbons!). Vienne était
une ville que Froma n'avait pas encore vue et j'étais impatient de lui montrer
ses beautés grandioses, les bâtiments baroques à l'échelle épique, dont les
détails toujours légèrement exagérés, corniches disproportionnées et moulures
surchargées, étaient autrefois le symbole d'une confiance impériale excessive
et peuvent paraître aujourd'hui gênantes, maintenant que l'empire pour lequel
ces ornementations ont été conçues a disparu – un peu, disons, comme une
parente âgée qui s'est habillée de façon extravagante pour une soirée ordinaire
peut vous mettre dans l'embarras. Et pourtant j'aime Vienne, sans doute parce
que la ténacité avec laquelle elle s'accroche aux formalités oubliées d'une
autre époque me rappelle certains Autrichiens d'autrefois que j'ai connus.
    Qu'avons-nous vu à Vienne ? Nous avons vu bien des choses
que j'aime, notamment, puisque mon enthousiasme pour les tombes n'est pas du
tout limité à celles des Juifs, la Kaisergruft, la crypte impériale des
Habsbourg, un endroit souterrain frais qui m'a fait penser, lors de ma première
visite quelques années plus tôt, à une cave à vin, si ce n'est qu'à la place
des tonneaux et des bouteilles sous les plafonds voûtés et bas se trouvent des
sarcophages en bronze et en pierre, où sont enchevêtrés des statues et des
crânes couronnés, où des inscriptions en latin murmurent à quiconque se soucie
de les lire. Naturellement, le plus important de ces monuments est celui de
Marie-Thérèse elle-même qui, en bronze grandeur nature, se redresse sur un bras
du couvercle de son énorme cercueil, le visage éclairé par un sourire
extatique, même si je ne peux pas déterminer vraiment si l'extase est due à
l'anticipation de la vie éternelle ou au fait que son mari adoré, François de
Lorraine, est dressé dans une position semblable à la sienne. Nous avons vu la
Kaisergruft, où repose François-Joseph dans un sarcophage de marbre lisse au
centre d'une chambre d'une grande sobriété, subtilement éclairée par une série
d'appliques, l'empereur entre sa superbe femme, Elizabeth, promise à un sombre
destin et victime elle aussi d'un assassin, et son fils romantique, Rodolphe le
prince héritier qui s'est suicidé avec sa maîtresse adolescente dans le relais
de chasse royal de Mayerling en janvier 1889, fait parmi d'autres qui me pousse
à m'interroger sur certaines histoires de famille, par exemple celle que
Sylvia, la sœur malheureuse de mon grand-père, avait l'habitude de raconter sur
comment, lorsqu'elle était petite, elle avait vu le même prince héritier en
uniforme bleu et sur un cheval blanc monter les marches d'un palais à Lemberg
(comme elle le disait encore) ; or Sylvia n'était née qu'en 1898, c'est-à-dire
neuf ans après que Rodolphe eut commis le geste romantique qui devait le rendre
si célèbre.
    Nous avons donc vu tout ça. Mais comme je l'ai dit, Froma a
un esprit insatiable. J’ai le sentiment, m'a-t-elle dit plus tard,
lorsque je lui ai demandé pourquoi, chaque fois que nous faisions un voyage
ensemble, elle disait toujours,

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