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Les disparus

Titel: Les disparus Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Daniel Mendelsohn
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cimetières abandonnés, j'avais trouvé refuge dans le
mausolée d'une famille autrefois considérable et aujourd'hui oubliée.
    Comme son appartement, Anna elle-même paraissait à la fois
sympathique et légèrement réservée. Elle a souri chaleureusement et serré ma
main fermement lorsque Shlomo nous a présentés, mais il se dégageait d'elle
quelque chose d'un peu méfiant, comme si quelque part dans son appartement ou
peut-être en elle il y avait quelque chose qu'elle ne voulait pas que vous
sachiez. Elle a ouvert la porte, petite femme en forme de poire, avec un joli
visage hésitant et le teint délicat et les cheveux un peu roux de quelqu'un qui
évite le soleil, et j'ai vu qu'elle portait un chemisier blanc sans manche et
une jupe grise étroite qui descendait jusqu'aux genoux. Comme chez mes
grands-mères, la chair des bras épais était à la fois ronde et lisse, comme une
pâte qu'on a pétrie pendant longtemps. Un de ces bras nous a fait signe
d'entrer dans l'appartement, à Shlomo et moi, et nous sommes allés nous
asseoir. Anna s'est assise en face de Shlomo et j'étais assis sur le sofa où
j'ai pu étaler mon magnétophone, ma caméra vidéo, les dossiers et l'unique
photo existante de Lorka que nous possédions, cette photo de famille prise
pendant le deuil de la mère de Shmiel en 1934, que je comptais montrer pendant
l'interview.
    Shlomo parlait à Anna en yiddish et mes oreilles ont tinté
quand je l'ai entendu dire Di ferlorene. Les Disparus.
    Il écrit un livre sur sa famille, lui avait expliqué Shlomo
alors que nous étions en train de nous asseoir. Sur la table basse, Anna avait
disposé des assiettes, des tasses, des napperons. Il y avait un plateau avec
des tranches de cake soigneusement découpées et des pâtisseries, de quoi
nourrir facilement quinze personnes. Souriante, Anna a gentiment poussé le
plateau vers moi en m'invitant à me servir. Shlomo a continué, Ça s'appelle Les
Disparus. Di ferlorene.
    Di ferlorene, a répété Anna en hochant la tête, comme
si le titre n'exigeait aucune explication.
    Di ferlorene. Je ne suis pas très sûr de savoir
comment il avait été décidé que cette interview aurait lieu en yiddish. Je
m'étais attendu à entendre les doux sons susurrés du polonais, la langue
qu'Anna et Shlomo avaient parlée quand ils étaient enfants à Bolechow, pendant
l'entre-deux-guerres, la langue à laquelle Meg Grossbard avait eu recours
plusieurs fois pendant l'interview du groupe de Sydney, en prétendant ne pas
l'avoir fait exprès, même si je soupçonnais alors et soupçonne encore plus
aujourd'hui, maintenant que je la connais mieux, de l'avoir fait pour me
rappeler, subtilement, que c'était sa vie, son histoire, une histoire dont
j'étais, moi, Américain de la deuxième génération, comme elle se plaisait
à le souligner, inévitablement exclu, sauf peut-être comme un observateur tard
venu. J'avais aussi pensé qu'ils pourraient peut-être parler l'hébreu, la
langue du pays dans lequel vivaient à présent ces deux anciens Polonais,
jusqu'à ce que Shlomo m'ait expliqué qu'Anna s'était installée en Israël assez
récemment, venant de l'Amérique du Sud où elle était avec son mari après la
guerre.
    Elle a quitté la Pologne en 1947, m'a dit Shlomo en anglais.
Elle avait vingt-six ans. Et elle a vécu quarante-deux ans en Argentine. Elle
n'est en Israël que depuis quelques années.
    Au son du mot Argentine, Anna a souri et pris un journal
espagnol qui était posé sur une petite table, et elle a hoché la tête dans ma
direction. Ikh red keyn Ebreyish, m'a-t-elle dit en yiddish. Je ne
parle pas l'hébreu.
    Ça me convenait parfaitement. Je ne le parle pas non plus,
moi qui avais dû apprendre par cœur ma haftarah et qui, pour cette
raison, n'avais pas la moindre idée que je chantais quelque chose sur la
purification de la communauté juive ; moi qui, pendant longtemps, n'avais pas
eu le moindre intérêt pour le déchiffrement des textes en hébreu, des textes
dont j'ai découvert presque trop tard qu'ils pouvaient éclairer les secrets des
familles et les mensonges des familles. Mais je n'étais que trop heureux
d'entendre, comme je n'avais plus espéré pouvoir le faire après la mort de mon
grand-père, du yiddish prononcé par les lèvres d'un ancien de Bolechow. Le
yiddish était la langue de l'Europe, du Vieux Continent ; ses sons humides et
riches s'enroulent autour de mes souvenirs, familiers et cependant mystérieux,
de la même

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