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Les disparus

Titel: Les disparus Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Daniel Mendelsohn
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non, c'était mieux que de
travailler dehors pendant l'hiver glacial !
    Ess var shreklikb kalt ! m'a dit Anna, sachant
que je n'aurais pas besoin de traduction. Il faisait horriblement froid !
    Je me suis souvenu de mes conversations interminables avec
Andrew, des années auparavant, au cours desquelles nous nous demandions comment
notre grand-père s'en serait sorti, s'il s'était retrouvé, lui aussi, coincé à
Bolechow pendant la guerre ; si sa merveilleuse habileté à magouiller pour
obtenir ce qu'il voulait, pour se sortir de toutes les situations en
baratinant, n'appartenait qu'à lui ou bien était l'expression d'un trait de
caractère autrefois florissant dans notre famille mais qui (c'était
l'impression non dite qui animait notre intérêt) semblait s'être éteint.
    Shlomo venait de dire, non sans une certaine admiration : Elle
s'était arrangée pour travailler à l'intérieur !
    Elle aurait dû vivre de nos jours ! a répété Anna. J'ai
souri. Oui, ai-je pensé, c'était certainement une fille dont on pouvait tomber
amoureux.
     
     
    Je voulais revenir aux
photos, à l'unique photo de son amie Lorka que nous possédions. Mais à
l'instant où je me suis penché vers le dossier pour en sortir l'agrandissement
de cette photo de groupe, qui avait à présent un peu moins de soixante-dix ans,
Anna a dit quelque chose à Shlomo. J'ai entendu les noms de Shmiel et de Frydka. Allions-nous parler de Frydka tout le temps ? me suis-je
demandé.
    Puis, Shlomo a dit, Ah, ah !
    Il s'est tourné vers moi.
    Elle a dit, m'a-t-il dit, qu'elle avait entendu dire,
quelque part, que Frydka et Shmiel étaient probablement cachés et que quelqu'un
les avait dénoncés, et ils avaient été tués.
    Frydka et Shmiel ? ai-je répété bêtement. Anna m'a
regardé ; elle avait compris, c'était clair, que j'avais entendu une histoire
différente. Elle a hoché la tête, sans me quitter des yeux, et elle a continué.
    Zey zent behalten bay a lererin...
    Shlomo a écouté et traduit, même si j'étais capable de
suivre l'histoire. Il a dit, Ils ont été capturés chez une institutrice.
C'était l'institutrice qui leur avait appris à dessiner.
    Le professeur de dessin, ai-je dit.
    Oui, a-t-il dit. Le professeur de dessin. Une Polonaise.
    Est-ce qu'elle connaissait le nom de cette femme ? ai-je
demandé. Je voulais quelque chose de concret, quelque chose de spécifique qui
permettrait de fixer cette version de l'histoire.
    Anna a recommencé à parler à Shlomo, qui a secoué la tête.
Non. Mais comme ils se remettaient à parler, j'ai entendu un nom que je
connaissais bien : Ciszko Szymanski. J'ai levé la tête, les yeux
écarquillés. Pour quiconque a passé beaucoup de temps dans les archives à faire
des recherches sur des événements qui se sont depuis longtemps effacés dans les
mémoires de chacun, à l'exception peut-être de quelques personnes très âgées,
il est gratifiant d'obtenir une confirmation des histoires sur lesquelles vous
enquêtez. Elle aussi avait donc entendu parler de l'histoire de Ciszko
Szymanski. Anna a souri, hoché la tête et dit quelque chose à Shlomo.
    Elle dit que Ciszko Szymanski était le petit ami de Frydka,
a dit Shlomo.
    J'ai demandé à Shlomo de lui dire que Meg Grossboard, à
Sydney, ne voulait rien nous dire – je me suis tourné vers Anna et j'ai
dit, Gurnisht ! Rien ! et elle a souri – parce que Ciszko
n'était pas juif. Shlomo a traduit pour Anna, qui m'a regardé avec un air
incrédule, les sourcils froncés et les bras écartés, comme pour dire, Qui se
préoccupe encore de choses pareilles ?
    Je lui ai dit que nous avions appris de Jack Greene que
Ciszko Szymanski avait été exécuté pour avoir essayé d'aider Frydka. Elle a
parfaitement compris ce que je disais, parce que avant même que j'aie fini de
parler, elle m'a regardé en disant en yiddish, Oui, c'est ce que j'ai entendu
dire.
    C'est à ce moment-là qu'elle s'est penchée au-dessus de la
table basse, comme une femme qui voudrait confier un cancan à une amie, et
qu'elle a parlé très rapidement. La tension entre l'intimité de son geste et le
fait d'avoir à attendre la traduction de Shlomo m'a frappé comme quelque chose
de significatif : ça m'a paru être-un symbole de tout ce que je ressentais ce
jour-là – l'étrangeté d'avoir à intégrer, d'un coup, des distances
impossibles de temps, de langues et de mémoires, à l'immédiateté et à la vivacité
des fragments, très brefs mais

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