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Les disparus

Titel: Les disparus Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Daniel Mendelsohn
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particulière et sont par
conséquent dignes d'intérêt pour un plus grand nombre de gens et, pour cette
raison même, dignes d'être préservées.
    Les voyages que nous avons faits nous ont mis dans un
rapport de proximité avec un passé que nous pensions avoir perdu pour toujours,
tout comme les parents qui l'avaient habité. Et de ce passé, nous avons sauvé
une quantité de faits concernant ces parents. Qu'avions-nous appris après tous
ces voyages ? Il était sourd, elle avait de jolies jambes, elle était
sympathique, il était intelligent, une fille était distante, ou peut-être
« facile », une fille aimait les çarçons ou peut-être aimait se faire
désirer. Elle était un papillon ! Il avait deux camions, il avait apporté
les premières fraises, elle tenait sa maison de façon impeccable, c'était un
gros bonnet, ils jouaient aux cartes, les dames faisaient du crochet, elle
était prétentieuse, hoch Nase ! C'était une bonne épouse, une bonne
mère, une bonne femme au foyer : que dire d'autre ? Ils l'appelaient le
« roi », elle portait ses livres comme ça, elle avait les yeux
bleus mais avec un quartier brun là, elles allaient au cinéma, elles
allaient faire du ski, elles jouaient au volley-ball, elles jouaient au
basket-ball, elles faisaient du ping-pong ! Il a eu la première radio, l'antenne
était tellement haute, deux hommes seulement à Bolechow avaient des voitures et
il était l'un d'eux. Ils allaient à la shul ou n'y allaient pas, ou n'y
allaient que pour les grandes fêtes ; ils récitaient les prières liturgiques,
ils faisaient des tsimmes pour le Nouvel An, ils allaient chez ce
boucher polonais et mangeaient des saucisses en secret ! Il aimait
tellement sa femme, oh oh oh oh !
    C'était une gentille famille, une jolie famille. C'était
une autre vie, c'était une autre vie.
    Nous avions appris tout ça, que nous ne savions pas
auparavant – simplement parce que, au moment où les survivants, les gens
qui avaient vu ces choses et s'en souvenaient, ont commencé à mourir, nous
avons su où ils étaient et nous nous sommes approchés d'eux pour entendre ce
qu'ils avaient à dire.
    Nous avons appris tout ça et, naturellement, nous avons
appris leurs histoires aussi, les histoires des narrateurs ; et c'est donc
devenu une partie de notre histoire aussi. Les cachettes, le bunker, le
grenier, les rats, la forêt, les faux certificats de naissance, les granges. Et
il y a l'histoire du présent : les gens que nous avons rencontrés et à qui nous
avons parlé, leurs familles, la nourriture que nous avons mangée, les rapports
que nous avons établis maintenant, aujourd'hui, à 99,2 chances contre 1. Et
grâce à tous ces voyages, grâce à tous ces rapprochements, j'ai trouvé quelque
chose d'autre : un frère que je n'avais jamais vraiment connu auparavant, un
homme au cœur tendre et aux sentiments profonds, un artiste qui parle peu et
voit beaucoup, et s'inquiète plus que moi de ce qu'éprouvent les gens, un homme
dont j'ai cassé le bras autrefois, en partie parce que j'étais jaloux d'un nom
qu'il portait. Voilà pour la proximité et tout ce qu'elle vous apporte. Et le
reste ? Car, en dépit du fait que nous nous sommes rapprochés de ceux qui y
étaient, il est resté un problème de distance. Une distance physique, tout
d'abord, à l'époque où tout s'est passé, une différence spatiale entre
l'endroit où se trouvaient les survivants et l'endroit où se trouvaient nos
parents disparus : différentes maisons au début, différents Lager ensuite,
différentes cachettes enfin. A partir d'un certain moment, il est devenu tout
simplement impossible de savoir ce qui arrivait aux autres gens. Il y avait
aussi une sorte de distance psychologique : lorsque vous êtes d'une histoire
qui est devenue, par nécessité, un récit de survie animale, il n'y a pas
beaucoup de place pour les digressions, pour broder àvotre guise
d'autres épisodes concernant d'autres gens. Et aujourd'hui, plus encore, s'est
instauré un autre type de distance, la distance de six décennies entre le
présent et le passé, une crevasse qui s'est ouverte entre le vécu et le relaté,
un vide dans lequel tant de choses se sont engouffrées.
    Parce que tant de temps s'était écoulé et tant de choses
avaient disparu, il ne restait plus que des fragments énigmatiques : fragments
qui, maintenant que nous avions parlé à chacun et qu'il n'y en avait plus
d'autres à trouver, étaient en nombre fini et

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