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Les disparus

Titel: Les disparus Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Daniel Mendelsohn
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gentils avec nous que parce que nous étions américains, parce qu'ils
pensaient que nous avions de l'argent à leur donner. Vous n'y étiez pas,
vous n'avez rien vu, m'avait dit quelqu'un lorsque j'avais soutenu que les
Ukrainiens que j'avais rencontrés, à qui j'avais parlé, avaient été si chaleureux,
si accueillants, si gentils avec nous ; et qu'aurais-je pu répondre moi qui
juge impossible d'établir des analogies faciles entre différents types
d'expériences que les gens de mon milieu, de mon pays et de ma génération ont
pu faire et celles faites par certaines personnes pendant la guerre ? Lorsque
certains survivants secouaient la tête et me disaient que je ne pouvais rien
savoir des Ukrainiens sur la base de mes seules expériences, je concevais
qu'ils pussent avoir raison : peut-être que trop de variables avaient changé,
peut-être qu'il était impossible de savoir tout simplement, tout comme
il est impossible de savoir ce que c'était que d'être dans un convoi à
destination de Belzec en 1942 en montant dans le fourgon à bestiaux du musée de
l'Holocauste à Washington. Moi, mieux que quiconque, je savais très bien
quelles étaient les racines de cette animosité généralisée à l'égard des
Ukrainiens – après tout, les survivants auxquels j'avais parlé avaient vu
de leurs propres yeux des bébés juifs empalés sur des fourches ukrainiennes et
jetés par les fenêtres et projetés contre les murs par des Ukrainiens et
piétinés par des Ukrainiens, comme le nouveau-né de Mme Grynberg avait été
piétiné quelques minutes après avoir été mis au monde, alors que le cordon ombilical
pendait encore entre ses jambes ; eux, et non moi, avaient été les témoins
d'une sauvagerie animale si féroce que – c'est un fait établi – les
Allemands avaient dû parfois la contenir. Ils l'avaient vu, je ne l'avais pas
vu et ne verrais jamais une chose pareille. Pourtant, cette réticence à
envisager quoi que ce soit de bon chez les Ukrainiens me frappe par son
irrationalité, puisque chaque survivant à qui j'ai parlé a été sauvé par un
Ukrainien. Je ne le leur ai pas dit, mais il me semble que les Juifs, plus que
n'importe qui d'autre, devraient être conscients du danger qu'il y a à
condamner des populations entières.
    J'ai donc parlé de tout cela avec Alex pendant mon séjour,
ouvertement et franchement. Parce qu'il est historien de formation, tout comme
je suis helléniste, il essaie de voir les choses dans leur complexité, se méfie
des généralisations, tout comme j'aime regarder les problèmes à travers la
lunette de la tragédie grecque qui nous apprend, entre autres, que la véritable
tragédie n'est jamais une confrontation directe entre le Bien et le Mal, mais
plutôt, de façon plus exquise et plus douloureuse à la fois, un conflit entre
deux conceptions du monde irréconciliables. La tragédie de certaines régions de
l'Europe de l'Est entre, disons, 1939 et 1944 était, en ce sens, une véritable
tragédie puisque – comme je l'ai signalé auparavant – les Juifs de
Pologne orientale, qui savaient qu'ils allaient souffrir s'ils se retrouvaient
sous domination nazie, avaient accueilli les Soviétiques comme des libérateurs
en 1939 quand la Pologne orientale leur avait été cédée provisoirement, comme
on le verrait ; tandis que les Ukrainiens de Pologne orientale, qui avaient
connu une oppression inimaginable pendant les années 1920 et 1930, avaient vu
dans la cession de la Pologne orientale à l'Union soviétique un désastre
national et considéré les nazis comme des libérateurs en 1941. Ce n'est pas,
évidemment, une formule qui peut tout expliquer, les bébés sur les fourches et
les cordons ombilicaux ; mais c'est du moins plus complexe et par conséquent
probablement plus correct que la formule qui consiste à envisager les
Ukrainiens comme les pires de tous. Alex et moi avons souvent parlé de
ce genre de choses au cours de notre séjour et, à la fin, il a haussé les épaules,
soupiré et dit, en se faisant l'écho d'autres personnes à qui j'avais parlé ces
dernières années, Écoute, il y a eu des gens qui étaient bons et d'autres qui
étaient méchants.
    Mais c'est venu plus tard. A l'aéroport, le jour de mon
retour à L'viv, j'ai serré Alex dans mes bras et je l'ai présenté à Froma. J'ai
pris des nouvelles de sa femme, Natalie, et de leur fils studieux, Andriy,
qu'Alex appelle toujours Andrew en ma présence, et de sa fille au

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