Les disparus
que les Juifs de Pologne orientale avaient obtenu un sursis
sous la forme du pacte Molotov-Ribbentrop, qui plaçait la région entourant
Bolechow sous contrôle de l'Union soviétique. Ce que Shmiel et sa famille ont
enduré de la part des Soviétiques, personne ne le sait.
Nous savions que les nazis avaient rompu le pacte à l'été
1941 et très vite, au début de l'été, avaient envahi la Pologne orientale. Peu
de temps après, ils étaient arrivés à Bolechow.
Nous savions que Shmiel possédait un camion (des camions ?).
Nous avions entendu dire que les nazis avaient besoin des camions.
Nous avions entendu dire qu'il était le premier sur la liste
(la liste ?).
Nous avions entendu dire qu'à un moment donné ils étaient
allés se cacher quelque part. Peut-être que c'était l'ancien castel qui avait
appartenu aux comtes polonais, les Giedsinski à qui la ville avait appartenu
autrefois. Mon grand-père n'avait-il pas dit, après tout, qu'ils s'étaient
cachés dans un kessel?
Toujours est-il qu'ils s'étaient cachés. Ou que certains
d'entre eux s'étaient cachés.
Nous avions entendu dire que le voisin les avait trahis et
dénoncés, (ou) que la bonne polonaise, la shiksa, les avait trahis et
dénoncés.
Quelle était la bonne version ? Impossible de le savoir.
Nous avions lu la lettre de Tante Miriam selon laquelle, en
1942, les Allemands avaient tué Ester et deux des filles. Ce devait être
Ruchatz et Bronia. Etaient-elles dans la même cachette que les autres ?
Impossible de le savoir.
Tante Miriam avait dit que Lorca avait réussi à s'échapper
et était allée combattre dans les montagnes avec les partisans, avec lesquels
elle avait été tuée plus tard. Quelles montagnes ? Quels partisans ? Quand ?
Comment ? Est-ce qu'elle s'était cachée, elle aussi ? Impossible de le savoir.
Elle avait écrit qu'Oncle Shmiel et Frydka avaient été tués
par les Allemands en 1944. Étaient-ils dans une cachette différente ? Comment
et pourquoi avaient-ils été séparés ? Impossible de le savoir.
Et pendant longtemps, c'est tout ce que nous avons su. Ce
n’était pas grand-chose, mais c'était bien plus que Tués par les nazis. Pendant
longtemps, c'était tout ce que nous avons jamais cru savoir ; et compte tenu de
l'étendue de l'annihilation, compte tenu du nombre d'années qui avaient passé,
compte tenu du fait qu'il n'y avait plus personne à qui demander, cela
paraissait beaucoup.
Les chapitres d'ouverture de Bereishit, la partie qui commence avec la création du
cosmos et se concentre, avec le temps, sur l'histoire d'Adam et Eve, et de leur
fatale expulsion du Paradis (qui est aussi le commencement de toute l'histoire
humaine), nous apprennent beaucoup sur le plaisir qu'on peut tirer de l'Arbre
de la Connaissance : nous savons qu'il était bon, qu'il était un délice pour
les yeux, qu'il était quelque chose de « désirable pour la
compréhension » – en d'autres termes, nécessaires pour faire des
distinctions et, finalement, pour créer (puisque c'est seulement après avoir
mangé à l'Arbre qu'Adam et Eve peuvent procréer).
Et nous apprenons aussi,
cependant, que l'Arbre provoque la douleur aussi bien que le plaisir. Car la
connaissance agréable qui provient du fait d'avoir mangé le fruit de l'arbre
est consubstantielle d'une grande douleur – l'expulsion du Paradis, le
travail, l'enfantement – et conduit en effet à la plus grande de toutes
les douleurs qu'est la mort.
Dans ma quête continuelle des
interprétations qui pourraient m'aider à trouver dans parashat Bereishit, qui est, après tout, le commencement
de la vaste explication de la Torah, des significations de l'histoire juive,
j'ai encore à découvrir une réponse à la question que je me suis posée depuis
que je suis enfant, quand j'ai lu cette histoire pour la première fois à
l'école du dimanche. Pourquoi, m'étais-je demandé, la Connaissance devrait-elle
provenir d'un arbre ? Pourquoi pas d'un rocher, d'un nuage, d'une rivière —
d'un livre, même ? Les arbres qui m'étaient familiers à l'époque n'offraient
aucune réponse. L'avant de notre maison était gardé par un alignement de grands
chênes, qui ne paraissaient pas particulièrement sages, pendant qu'à l'arrière
se trouvaient, à un moment donné, d'énormes saules maussades, l'un d'eux était
proche de la maison — ses branches les plus longues frottaient régulièrement et
horriblement contre les fenêtres de la chambre de mon
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