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Les disparus

Titel: Les disparus Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Daniel Mendelsohn
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cueillait les pommes vertes de cet arbre pour
les manger avait quelque chose d'assurément non juif, pour moi, et pour cette
raison, je m'en rends compte à présent, était obscurément liée à mon désir
ultérieur d'étudier la culture et la langue, non des Juifs, mais des Grecs et
des Romains, des Méditerranéens dont était issu, si évidemment, Nino... C'est
mon grand-père, devrais-je dire dans ce contexte, qui, sous ce même arbre,
m'avait poursuivi un jour, quand j'avais peut-être dix ans, en me menaçant de
me battre comme plâtre — il avait, si je me souviens bien, une bouteille de
lait vide à la main — parce que j'avais mis le feu à des petites voitures sous
cet arbre, et pendant qu'il me poursuivait, il répétait, Un feu, tu as allumé,
un feu ? Tu veux nous tuer tous ? A l'époque, je n'avais pas encore appris
l'histoire de sa maison d'enfance à Bolechow incendiée par une bombe russe pendant
la Première Guerre mondiale, ou encore celle où il avait regardé, pendant un
autre bombardement de la même guerre, un camarade d'école brûler vif, ou
peut-être serait-il plus exact de dire bouillir, quand la rivière qui
traversait Bolechow avait pris feu.
    Nous savons que l'Arbre de la
Connaissance dans Bereishit n'était pas
un chêne, ni un saule, ni même un pommier, mais un figuier. Et nous le savons,
ou du moins nous l'inférons, du fait qu'Adam et Eve, après avoir mangé à
l'arbre et acquis la conscience honteuse d'être nus, se couvrent des feuilles
d'un figuier. A ceci, Friedman a assez peu de choses à ajouter, en dehors du
fait, qu'on s'accorde à trouver intéressant, que ces vêtements improvisés que
les deux premiers êtres humains se sont faits n'étaient pas à proprement parler
des « vêtements », mais de sommaires camouflages, puisque c'est Dieu,
dans Genèse 3, 21, qui fait le premier vêtement pour eux. Mais Rachi explore le
détail des feuilles de figue de manière plus pénétrante et en tire (comme il le
fait souvent) une conclusion morale. « Par la chose même qui leur avait
valu la ruine, écrit-il, ils ont été corrigés. »
    A mon avis, ce progrès de la
ruine à la correction est intimement lié à la nature de la connaissance en soi,
qui est au mieux un processus : de l'ignorance à la conscience, de la
« ruine » intellectuelle à sa correction, du chaos indistinct à la
science ordonnée. La connaissance englobe, par conséquent, le point de départ,
qui est vide, nocif douloureux, et le point d'arrivée, qui est plaisir. A mon
avis, c'est cette qualité de processus, de développement, lequel ne peut se
dérouler que dans le temps, qui répond finalement à la question de savoir
pourquoi la connaissance doit provenir d'un arbre. Un arbre est une chose qui
croît et la croissance, comme l'apprentissage, ne peut avoir lieu que dans et
par le temps. En effet, en dehors du médium qu'est le temps, des mots comme
« croître » et « apprendre » ne peuvent avoir le moindre
sens.
    Et c'est le temps, à la fin,
qui donne le sens, dans les deux acceptions du mot, du plaisir à tirer de la
connaissance et de la douleur. Le plaisir repose, dans une certaine mesure, sur
la fierté de l'accumulation : avant, il y avait le vide et le chaos, et il y a
maintenant la plénitude et l'ordre. A l'opposé, la douleur est associée au
temps d'une manière légèrement différente. Par exemple (puisque le temps ne se
déplace que dans une seule direction), une fois qu'une chose est connue, on ne
peut plus la méconnaître. Et comme nous connaissons certaines choses, certains
faits, des connaissances d'un certain type sont pénibles. Et aussi : alors que
des connaissances d'un certain type apportent du plaisir précisément, comme je
viens de le décrire, en vous comblant d'une information que vous avez désiré
connaître, en vous permettant de donner sens à ce qui paraissait auparavant un
amas sans ordre, il est possible d'apprendre certaines choses, certains faits,
trop tard pour qu’ils puissent vous faire le moindre bien.
     
    Ecoutez :
     
     
    Mon grand-père est mort
en 1980. Au milieu de la nuit, en dépit du fait qu'il était très faible – 
à une ou deux semaines au plus, m'avait dit ma mère, de mourir du cancer qui le
dévorait –, il s'était levé, dans un pyjama immaculé, et avait eu la force
de sortir sans réveiller sa femme endormie, celle qui détestait les plumes,
celle qui avait été à Auschwitz, et de quitter l'appartement, d'appuyer

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