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Les disparus

Titel: Les disparus Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Daniel Mendelsohn
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témoignage oculaire d'événements qui sont éloignés de
tout ce que j'aurais pu avoir connu, et que j'ai par conséquent du mal à
« imaginer » ou à « envisager », je préfère éviter toute
paraphrase et me contenter de citer sa description :
     
    Entre-temps,
deux autres voleurs sont entrés dans ma maison et ont trouvé ma femme Leah
encore au lit. Ils ont réclamé une importante somme d'argent et ma femme leur a
immédiatement donné un ducat et 20 guldens, en s'excusant de ne pas avoir sous
la main un sou de plus. L'un d'eux lui a donné de violents coups du plat de sa
hache sur le bras et le dos, qui ont laissé la chair et la peau meurtries et
noires pendant longtemps. Ils ont exigé qu'elle leur donne des perles et des
objets d'ornementation en or. L'un d'eux a dit que les habitants chrétiens de
notre ville les avaient informés qu'ils trouveraient de telles choses dans ma
maison. Ma femme a dû leur donner tout ce qu'elle possédait de précieux : deux
colliers de magnifiques perles fines, un de quatre rangs et l'autre de cinq,
une coiffe de grande valeur et de grande beauté, et dix anneaux d'or sertis de
magnifiques diamants rares. Toutes ces choses s'élevaient à l'époque à une
valeur de 3000 guldens. En dehors de cela, les voleurs ont emporté les meubles
et brûlé la maison.
     
    L'attaque-surprise, les informateurs chrétiens, le vol et la
violence, l'envie et l'appropriation des bagues de diamants rares : tout cela
aurait lieu de nouveau (le surnom polonais pour Leah, le nom de l'épouse
de Ber, est, je devrais le mentionner, Lorka).
    Mais il y avait aussi des gentillesses inattendues et
inexplicables. Ber loue la prévenance d'une bonne chrétienne qui est restée
pour sauver de l'incendie les livres de son maître. « Elle a pris les
livres en pitié, écrit-il, parce qu'elle savait que j'y étais tant
attaché. » De telles actions se répéteraient, elles aussi, des siècles
plus tard.
    La terreur que Ber décrit dans ce passage, tout en étant
connue à Bolechow et dans d'autres villes austro-hongroises, n'était cependant
pas la règle. The Memoirs of Ber of Bolechow n'est pas une œuvre
particulièrement littéraire, et les détails des négociations d'affaires et des
procès au tribunal, pour ne rien dire des considérations ésotériques sur les
premiers temps de l'édition moderne, sont peu susceptibles de fasciner beaucoup
de lecteurs. Mais la dimension ordinaire de la vie documentée dans ce livre
étrange et oublié est ce qui semble à présent, sachant ce que nous savons, tout
à fait précieux.
    Après tout, le seul autre livre, à ma connaissance, qui a
jamais été écrit sur Bolechow et ses Juifs jusqu'à présent, est Sefer
HaZikaron LeKedoshei Bolechow, ou « Livre-mémorial des martyrs de
Bolechow », édité par Y. Eshel et publié en 1957 par un groupe de
personnes regroupées dans l'Association des Anciens Résidents de Bolechow.
C'est, en d'autres termes, ce qu'on appelle un livre Yizkor : une des centaines
de livres compilés après la Seconde Guerre mondiale, remplis des souvenirs des
gens qui étaient partis avant la guerre et les témoignages de ceux qui
n'étaient pas partis, afin de conserver une trace des communautés – 
petites villes, grandes villes –  qui avaient été détruites, et
commémorer, naturellement, autant qu'il était possible, un mode de vie qui
avait été perdu. J'ai un exemplaire de ce livre, qui appartenait autrefois à
mon grand-père ; il est relié dans une couverture en tissu bleu, aujourd'hui
très délavé, et le texte est en hébreu et en yiddish. Je me demandais, quand
j'étais un petit garçon et que mon grand-père me laissait, très rarement,
prendre en main cet objet précieux, pourquoi ils l'avaient publié dans une
langue que (comme je le pensais alors) seules les victimes comprenaient. Mon
grand-père me montrait les photos dans le livre et, sur une feuille de papier à
en-tête de l'entreprise qu'il possédait autrefois –  mon grand-père aussi
avait cette compulsion de garder les choses, de les préserver –, feuille
qu'il a placée par la suite entre les pages qui séparaient la section en hébreu
de la section en yiddish, il a écrit le numéro de toutes les pages où sa
famille était mentionnée. Voici ce qu'il a écrit, parfois en lettres capitales,
parfois de son écriture à grandes boucles, en faisant à l'occasion une faute
d'orthographe :
     
    44 - école juive baron
hirsh
    57 - ci-dessou

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