Les disparus
de
quatre cents ans. Ils étaient autorisés, écrit-il, à acquérir des terres dans
le centre de la ville et à y construire des maisons (Elle était exactement
là, sur la Ringplatz, me disait mon grand-père quand j'étais petit, quand
il faisait référence à la boutique familiale : sur la place principale). Les
Juifs de la ville s'étaient vu concéder un emplacement pour la construction
d'une synagogue et, de l'autre côté de la petite rivière qui traversait la
ville, un terrain à utiliser comme cimetière. Si vous y allez aujourd'hui, une
des premières choses que vous voyez, en sautant par-dessus un petit ruisseau
pour accéder au terrain du cimetière, c'est une grande pierre tombale au dos de
laquelle est écrit le nom de jäger .
Les Juifs de Bolechow, continue l'auteur de ce livre,
pouvaient voter pour l'élection du Burgmeister (lequel, en prenant ses
fonctions, devait jurer de protéger les droits des trois nationalités qui
vivaient à Bolechow) et des magistrats du conseil municipal. Ils bénéficiaient
de protections légales : le tribunal municipal polonais ne pouvait trancher une
dispute entre un Juif et un Gentil sans la présence des représentants de la
communauté juive (mon grand-père m'a raconté que son père, autrefois, était
intervenu naturellement auprès des autorités autrichiennes, avec lesquelles il
entretenait d'excellents rapports, sans doute à cause de toutes ces bouteilles
de Tokay, afin d'aider un Juif sans le sou à sortir de prison. Un mot de lui
avait du poids, m'avait dit mon grand-père). Il n'est donc pas étonnant,
comme l'indique Vishnitzer, que « l'harmonie ait prévalu dans les
relations entre les Juifs et leurs voisins chrétiens ».
De manière peu surprenante, compte tenu de ses enthousiasmes
d'érudit et de son succès comme marchand de vin, les Mémoires de Ber Birkenthal
oscillent entre l'obscur et le profane (bien plus souvent). Il y a, c'est
certain, des allusions savantes aux versets de la Bible. « Une nuit,
écrit-il, une phrase de la Bible m'est venue à l'esprit. Elle était tirée des
Psaumes, 58, verset 5 : "Leur poison est comme le poison d'un serpent :
ils sont sourds comme l'aspic qui se bouche l'oreille ; qui ne prêtera pas
l'oreille à la voix des charmeurs... Comme la limace qui fond, laisse chacun
d'eux passer : comme l'avorton d'une femme, qu'ils ne voient pas le
soleil". » Mais, le plus souvent, Ber se préoccupe des choses
ordinaires, depuis la politique (« Après que Poniatowski a été nommé
commandant en chef... ») aux agacements des affaires (« J'ai été très
déçu de ne pouvoir obtenir aucun des vieux vins. J'ai discuté du problème avec
mon partenaire en route pour Miskolcz, puisque je n'avais pas eu l'occasion de
le faire, parce qu'il fallait que je retourne à Lemberg ») et aux drames
locaux (« Avec beaucoup de difficultés et grâce à des efforts incessants
et de nombreuses intercessions, ils ont été libérés de prison... »)
jusqu'aux problèmes domestiques (« Lorsque ma sœur et la belle-sœur,
Rachel, ont appris que je désirais épouser cette veuve, elles ont parlé à
Yenta, de telle sorte que l'arrangement pourrait se faire très vite »).
En d'autres termes, une vie ordinaire, en dépit de
l'intellect extraordinaire du mémorialiste. Cependant, il faut dire que, à
l'époque où Ber de Bolechow jouait un rôle éminent dans la ville, le monde
était moins stable qu'il ne l'avait été un siècle et demi auparavant, quand la
petite ville avait été fondée par le noble polonais. L'instabilité politique
régnait dans toute la Pologne au cours du XVIIIe siècle et les incursions des
Russes, des Tatars et des Cosaques dévastaient la communauté juive dans la
petite ville. Et, en juillet 1759, il s'est trouvé que Ber Birkenthal de
Bolechow avait fait un rêve horrible, un rêve de douleur qui s'est révélé être
un rêve prémonitoire : il avait rêvé, écrit-il angoissé, que sa femme était
douloureusement entrée « en travail ». Il savait que c'était un signe
et, bien évidemment, il avait appris le lendemain que vingt-huit Ruthènes
étaient descendus de leurs montagnes boisées au-dessus de la ville et avaient
attaqué par surprise le quartier juif, mettant à sac plusieurs maisons et tuant
un homme. La propriété et la famille de Ber n'avaient pas été épargnées par la
destruction, ce que Ber décrit avec force détails dans ses Mémoires. Compte
tenu de l'existence de ce
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