Bücher online kostenlos Kostenlos Online Lesen

Les disparus

Titel: Les disparus Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Daniel Mendelsohn
Vom Netzwerk:
Ukrainiens,
cela faisait beaucoup de monde dans un petit endroit.
    Maria a souri de son sourire béat, translucide, plein
d'espoir, et elle a murmuré quelque chose à l'oreille d'Alex. Il s'est tourné
vers nous et a dit, Elle dit que c'était comme une grande famille.
    Tous les commentateurs essaient de lutter avec le bizarre
problème de savoir ce que Caïn a bien pu dire à Abel pour le faire venir dans
le champ avec lui, le champ où Caïn avait prévu de tuer son frère. La
traduction scrupuleuse du verset 8 de l'hébreu, vayomer Qayin elHevel ahchiyv
vay'hiv..., ne donne qu'une chose apparemment absurde : « Et Caïn a dit à
son frère Abel. Et quand ils ont été dans le champ... » Ce qui veut dire
que le texte en hébreu nous dit simplement que Caïn a dit quelque chose à Abel,
et que dans le champ Caïn s'est insurgé contre Abel et l'a tué ; mais on ne
nous dit jamais ce qu'un frère a dit à l'autre. Le texte en hébreu qui fait
autorité reste silencieux ; c'est seulement dans les Septante,  une traduction
grecque d'Alexandrie de la Bible hébraïque faite au IIIe siècle avant J.-C, et
dans la Vulgate, la traduction latine de la Bible hébraïque et araméenne faite
par Jérôme (saint Jérôme, par la suite), entre 382 et 405 après J.-C, que le
texte est tordu pour lui donner un sens plus apparent, et ce sont ces
traductions, imprécises mais plus satisfaisantes, que la plupart d'entre nous
connaissent : « Cependant Caïn dit à son frère Abel : "Allons dans le
champ... " » Naturellement, l'impulsion qui pousse à modifier un
texte pour qu'il dise ce que nous voulons qu'il dise n'est pas nouvelle, ni
dans l'érudition biblique — nous l'avons déjà vu —, ni ailleurs.
    Friedman, le commentateur moderne, semble moins perturbé
par cela que ne l’est Rachi et, s'en tenant au caractère pratique contemporain,
efficace et bien intentionné, qui caractérise son approche, fournit une
explication parfaitement raisonnable de l'étrange syntaxe du texte en question
: « Les mots de Caïn, écrit-il, semblent avoir été sautés dans le texte
massorétique [les textes hébraïques retranscrits sur des copies remontant aux
années 900] par un scribe dont l'œil passe de la première phrase contenant le
mot "champ " à la seconde. » Pour quiconque connaît un peu
l'étude des traditions manuscrites, cela peut paraître une explication
plausible : un scribe vénérable, au moment où il s'est assis devant un
vénérable manuscrit, aujourd'hui perdu, de la Torah qu'il recopiait assidûment,
et au moment où il s'apprêtait a écrire la phrase aujourd'hui perdue, « Allons
dans le champ », la remarque faite par un frère à l'autre, a fermé les
yeux dans un moment de lassitude ; de sorte que, lorsqu'il a de nouveau bougé
la main pour écrire, l'œil fatigué, à présent rouvert, était déjà concentré sur
ce qui était en fait la seconde occurrence du mot « champ » – le
mot tel qu'il apparaît dans la ligne que nous avons encore, la ligne qui n’a
pas été perdue : « Et quand ils étaient dans le champ... » Et comme
il était fatigué, puisqu'il n’était qu'humain, après tout (et nous savons
quelles erreurs la mémoire humaine est capable de commettre), c'est la ligne
qu'il a écrite en fait, n'ayant jamais écrit en réalité la ligne qui disait
« Allons dans le champ » (ou quelque chose de très proche de ça) ; et
à cause de cette minuscule erreur, cette petite ligne, qui, si elle avait
existé, aurait éliminé une lecture perturbante de ce texte qui fait autorité
parmi tous les textes, a été irrémédiablement perdue.
    Et pourtant la perte de cette ligne ne semble pas ennuyer
Rachi outre mesure ; ou du moins a-t-il une explication également convaincante
sous la main — même si son explication est plus psychologique que mécanique.
Son commentaire sur la demi-phrase que nous traduisons par « Et Caïn dit à
son frère Abel » se développe de la façon suivante : « Il est entré
avec lui dans des mots de querelle et avec l'intention de trouver un prétexte
contre lui, pour le tuer. » Pour Rachi, il est tout à fait clair que les
mots prononcés par Caïn n'ont aucune importance matérielle, puisqu'ils sont
faux, un simple prétexte ; le commentaire indique ici que Rachi sait bien que,
entre frères, il existe des forces très sombres qui rôdent et n'ont besoin que
de la plus simple excuse pour remonter à la surface et exploser dans la
violence. Ce

Weitere Kostenlose Bücher