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Les disparus

Titel: Les disparus Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Daniel Mendelsohn
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New
York à l'Australie prend soit vingt-quatre heures, soit près de trois jours.
    Le voyage est divisé en deux étapes. La première, selon
l'hôtesse du Qantas 747 qui nous a emmenés Matt et moi à Sydney en mars 2003
pour rencontrer Jack Greene et les autres survivants de Bolechow, est « le
vol court », même s'il représente ce que la plupart des gens
considéreraient comme un voyage important en soi. Nous avons décollé de New
York à18 h 45 le soir du 19, le jour où une guerre a commencé – comme nous
sommes restés en l'air pendant si longtemps, au cours de la nuit pendant
laquelle expirait l'ultimatum et au cours de la plus grande partie du jour
suivant, nous n'avons pas su si nous étions vraiment en guerre jusqu'au
surlendemain – et puis, traversé le continent jusqu'à Los Angeles. Cela
nous a pris cinq heures et demie environ. Ensuite, il y a eu une escale d'une
heure à L.A., pendant laquelle un nouvel équipage a dû monter à bord à cause,
nous a-t-on dit, « des règlements de l'industrie aéronautique » :
aucun équipage n'est autorisé, nous a expliqué une hôtesse, à faire les deux
étapes du vol – à travailler, en d'autres termes, pendant toute la durée
que nous allions passer à voler. Cette information a donné un air d'urgence à
la procédure.
    En tout cas, après avoir accueilli notre nouvel équipage,
nous sommes tous remontés péniblement dans l'avion, sonnés et pleins de
ressentiment, et nous avons décollé de nouveau. Pendant les seize heures
suivantes, il n'y a rien eu au-dessous de nous que l'océan Pacifique. J'avais
survolé bien des fois l'Atlantique et je n'avais jamais vraiment pensé à la
taille des océans jusqu'à ce que je fasse le tour du monde pour aller en
Australie et rencontrer cinq vieux Juifs qui avaient vécu autrefois à Bolechow
et vivaient maintenant là-bas, cinq de ce qui allait se révéler douze personnes
encore en vie qui avaient connu autrefois Shmiel Jäger et sa famille, et qui
allaient pouvoir me raconter des choses à leur sujet. L'Atlantique, je m'y
étais habitué, et il était devenu, je suppose, gérable pour moi. Le Pacifique
est immense.
    C'est pendant la seconde étape de ce long vol que vous
risquez de perdre tout sens du temps. Pendant la plus grande partie d'une
journée, il n'y a rien d'autre au-dessous de vous que de l'eau, indistincte et
indifférenciée ; la qualité neutre de ce que vous pouvez voir, quand vous
regardez par le hublot, reflète la qualité du temps que vous passez à voler,
qui est aussi indistinct et indifférencié. C'est un temps qui n'a aucune
qualité. Si vous faites ce voyage, un voyage que je n'avais jamais imaginé
faire, les stewards et les hôtesses extrêmement serviables de Qantas vous
apporteront des repas de temps en temps et, en vous passant un plateau couvert
de plats chauds et scellés, vous diront que c'est le petit déjeuner ou bien le
dîner ; mais au bout d'un moment, il est difficile de savoir si ces repas régulièrement
servis sont censés correspondre à ceux du fuseau horaire que vous avez quitté
ou de celui vers lequel vous vous dirigez, ou peut-être d'un fuseau horaire
totalement abstrait, « virtuel », qui n'appartient qu'à l'avion et
n'existe nulle part ailleurs. A la fin, vous devez les croire sur parole parce
que vous n'avez véritablement plus aucune perception de l'heure qu'il pourrait
bien être.
     
     
    Alors que j'étais assis
dans cet avion, regardant par le hublot et feuilletant de temps à autre une
brochure à l'aspect sinistre sur les moyens d'éviter un truc qui s'appelle
« la thrombose vasculaire », un problème de circulation sanguine qui
peut se produire quand vous restez trop longtemps dans la cabine pressurisée
d'un avion de ligne — ce qui était précisément ce que nous allions faire, Matt
et moi —, alors que j'étais assis dans cet avion, j'ai compris, les heures
passant, que la façon dont les repas à bord étaient servis m'avait rendu
conscient d'une certaine qualité (ou d'une certaine absence de qualité) du temps,
me rappelait quelque chose de mon enfance, quelque chose qui avait, de manière
similaire, lié le temps des repas au passage atroce des heures vides.
    Comme je l'ai dit, ma mère avait grandi dans une famille
orthodoxe, régie par un père grandiose et dominateur, qui observait
scrupuleusement les fêtes religieuses et dont l'épouse, ma grand-mère Gerty
(ou, en fonction de la personne qui s'adressait à elle et

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