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Les disparus

Titel: Les disparus Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Daniel Mendelsohn
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pouvait le faire ou ne se souciait de s'en souvenir :
pas mon père, ni son frère aîné, avec qui il était en si bon termes, à l'époque
où nous grandissions, ni l'autre frère auquel, pendant si longtemps, il ne
voulait rien avoir affaire, mais dont il s'était par la suite rapproché, quand
la polio était revenue, une dernière fois, pour mettre fin à cette conversation
torturée de façon permanente. La famille de mon père m'avait toujours paru être
une famille de silences, et le peu que j'avais réussi à apprendre d'eux, au
cours du temps, m'avait aidé à expliquer pourquoi : le père de mon grand-père,
le fabricant de violons qui, parce qu'il ne vendait pas assez de violons,
fabriquait aussi des chaussures et ne gagnait pas assez non plus avec ça ; la
mère qui allait mourir à trente-quatre ans, épuisée par ses dix grossesses,
dont trois avaient donné naissance à des jumeaux ; les nombreux frères et sœurs
qui n'avaient jamais grandi, tués dans la petite enfance, l'enfance ou
l'adolescence par telle ou telle maladie, par la tuberculose, par la grande
épidémie de grippe espagnole de 1918, laissant mon grand-père seul parvenir à
l'âge adulte, un âge adulte au cours duquel il avait préféré ne jamais parler
de ce passé appauvri. Une famille, par conséquent, élevée dans les silences,
dont ces longues périodes vides et sinistres entre les frères, dont ces
silences qui duraient des décennies n'étaient que les exemples les plus
extrêmes.
    Parce qu'ils restaient silencieux pendant si longtemps
– ils vivaient dans leur présent américain plutôt que dans leur passé
européen –, il y a désormais moins d'histoires à raconter à leur sujet.
C'est seulement par accident que j'ai appris, du fait que j'étais sur le saule
pleureur du jardin de mes parents, un jour de 1972 quand les parents de mon
père étaient venus de Miami pour une visite, et qu'on n'avait pas remarqué ma
présence, que mon grand-père avait eu une femme avant d'épouser ma grand-mère
Kay, et que notre famille existait uniquement parce que cette première épouse
était morte dans l'épidémie de grippe espagnole ; et ou en effet mon père avait
un frère beaucoup plus âgé à qui (pour des raisons que je n'ai pu découvrir que
des années plus tard, au moment où mon grand-père Al agonisait) mon père
n'avait plus parlé, depuis que ce demi-oncle égaré avait quitté la maison, des
décennies plus tôt. Une fois de plus, il me revenait à l'esprit que notre
lignage n'était que le résultat d'un accident, d'une mort prématurée ; une fois
de plus me revenait à l'esprit la préférence de la Bible hébraïque pour les
secondes épouses, pour les plus jeunes fils. Pourquoi, avais-je pensé à
l'époque, n'avions-nous jamais entendu ce récit dramatique auparavant ? Mais ce
même grand-père n'avait jamais songé à signaler à qui que ce fût, même après la
naissance de ma sœur Jen en 1968, qu'il y avait eu une fille nommée Jenny parmi
ses nombreux frères et sœurs morts.
    Quand j'étais petit, je regardais le père de mon père et
puis je regardais le père de ma mère, et le contraste entre les deux est à
l'origine de la formation, dans mon esprit d'enfant, d'une sortie de liste.
Dans une colonne, il y avait ceci : Jaeger, judaïté, Europe, langues,
histoires. Dans l'autre, il y avait ceci : Mendelsohn, athées, Amérique,
anglais, silence. Je comparais et j'opposais ces colonnes, lorsque j'étais bien
plus jeune et, même alors, je me demandais quel genre de présent on pouvait
avoir sans connaître les histoires de son passé.
     
     
    Il y avait d'autres histoires de voyages
difficiles dans ma famille. La mère de ma mère était la seule de mes
grands-parents à être née aux Etats-Unis, mais sa propre mère, mon arrière-grand-mère
Yetta, n'y était pas née. Yetta Cushman (ou Kutschmann ou encore Kuschman), qui sur la seule photo d'elle existante, prise peu de temps avant sa mort
prématurée pendant l'été 1936 – pendant qu'elle cousait le cou d'un
poulet, elle s'était piqué le doigt et elle était morte, quelques jours plus
tard, d'un empoissonnement du sang, ce qui avait été la cause d'un choc
émotionnel terrible qui, selon le père de ma mère, avait été à l'origine du
diabète de sa jeune épouse – vous dévisage avec l'air triste d'une femme
extrêmement simple, qui louche presque, et d'un âge indéterminé. Yetta, parfois
Etta, est la parente à qui mon frère Eric

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