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Les Essais, Livre II

Les Essais, Livre II

Titel: Les Essais, Livre II Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Michel de Montaigne
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qui souppoit en sa compagnie, homme de molle
et douce conversation, et qui pour ne l'esmouvoir, prenoit party
d'approuver tout ce qu'il disoit, et d'y consentir : luy ne
pouvant souffrir son chagrin, se passer ainsi sans aliment :
Nie moy quelque chose, de par les Dieux, dit-il, affin que nous
soyons deux. Elles de mesmes, ne se courroucent, qu'affin qu'on se
contre-courrouce, à l'imitation des loix de l'amour. Phocion à un
homme qui luy troubloit son propos, en l'injuriant asprement, n'y
fit autre chose que se taire, et luy donner tout loisir d'espuiser
sa cholere : cela faict, sans aucune mention de ce trouble, il
recommença son propos, en l'endroict où il l'avoit laissé. Il n'est
replique si piquante comme est un tel mespris.
    Du plus cholere homme de France (et c'est tousjours
imperfection, mais plus excusable à un homme militaire : car
en cet exercice il y a certes des parties, qui ne s'en peuvent
passer) je dy souvent, que c'est le plus patient homme que je
cognoisse à brider sa cholere : elle l'agite de telle violence
et fureur,
    magno veluti cùm flamma
sonore
Virgea suggeritur costis undantis aheni,
Exultántque æstu latices, furit intus aquaï
Fumidus atque altè spumis exuberat amnis,
Nec jam se capit unda, volat vapor ater ad auras
,
    qu'il faut qu'il se contraingne cruellement, pour la
moderer : Et pour moy, je ne sçache passion, pour laquelle
couvrir et soustenir, je peusse faire un tel effort. Je ne voudrois
mettre la sagesse à si haut prix : Je ne regarde pas tant ce
qu'il fait, que combien il luy couste à ne faire pis.
    Un autre se vantoit à moy, du reglement et douceur de ses
moeurs, qui est, à la verité singuliere : je luy disois, que
c'estoit bien quelque chose, notamment à ceux, comme luy,
d'eminente qualité, sur lesquels chacun a les yeux, de se presenter
au monde tousjours bien temperez : mais que le principal
estoit de prouvoir au dedans, et à soy-mesme : et que ce
n'estoit pas à mon gré, bien mesnager ses affaires, que de se
ronger interieurement : ce que je craignois qu'il fist, pour
maintenir ce masque, et ceste reglée apparence par le dehors.
    On incorpore la cholere en la cachant : comme Diogenes dit
à Demosthenes, lequel de peur d'estre apperceu en une taverne, se
reculoit au dedans : Tant plus tu te recules arriere, tant
plus tu y entres. Je conseille qu'on donne plustost une buffe à la
jouë de son valet, un peu hors de saison, que de gehenner sa
fantasie, pour representer ceste sage contenance : Et aymerois
mieux produire mes passions, que de les couver à mes despens :
Elles s'alanguissent en s'esvantant, et en s'exprimant : Il
vaut mieux que leur poincte agisse au dehors, que de la plier
contre nous.
Omnia vitia in aperto leviora sunt : et tunc
perniciosissima, quum simulata sanitate subsidunt
.
    J'advertis ceux, qui ont loy de se pouvoir courroucer en ma
famille, premierement qu'ils mesnagent leur cholere, et ne
l'espandent pas à tout prix : car cela en empesche l'effect et
le poids. La criaillerie temeraire et ordinaire, passe en usage, et
fait que chacun la mesprise : celle que vous employez contre
un serviteur pour son larcin, ne se sent point, d'autant que c'est
celle mesme qu'il vous a veu employer cent fois contre luy, pour
avoir mal rinsé un verre, ou mal assis une escabelle. Secondement,
qu'ils ne se courroussent point en l'air, et regardent que leur
reprehension arrive à celuy de qui ils se plaignent : car
ordinairement ils crient, avant qu'il soit en leur presence, et
durent à crier un siecle apres qu'il est party,
    Et secum petulans amentia
certat
.
    Ils s'en prennent à leur ombre, et poussent ceste tempeste, en
lieu, où personne n'en est ny chastié ny interessé, que du
tintamarre de leur voix, tel qui n'en peut mais. J'accuse
pareillement aux querelles, ceux qui bravent et se mutinent sans
partie : il faut garder ces Rodomontades, où elles
portent.
    Mugitus veluti cùm prima in
prælia taurus
Terrificos ciet, atque irasci in cornua tentat,
Arboris obnixus trunco, ventosque lacessit
Ictibus, et sparsa ad pugnam proludit arena
.
    Quand je me courrouce, c'est le plus vifvement, mais aussi le
plus briefvement, et secretement que je puis : je me pers bien
en vistesse, et en violence, mais non pas en trouble : si que
j'aille jettant à l'abandon, et sans choix, toute sorte de parolles
injurieuses, et que je ne regarde d'assoir pertinemment mes
pointes, où j'estime qu'elles blessent le plus : car je n'y
employe

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