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Les Essais, Livre II

Les Essais, Livre II

Titel: Les Essais, Livre II Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Michel de Montaigne
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ne bougeassent, et l'assistassent en toute seureté, et
qu'il n'estoit pas en la douleur, de luy arracher un mot de
confession, et n'en eut on autre chose, pour le premier jour :
Le lendemain, ainsi qu'on le ramenoit pour recommencer son
tourment, s'esbranlant vigoureusement entre les mains de ses
gardes, il alla froisser sa teste contre une paroy, et s'y tua.
    Epicharis ayant saoulé et lassé la cruauté des satellites de
Neron, et soustenu leur feu, leurs batures, leurs engins, sans
aucune voix de revelation de sa conjuration, tout un jour :
rapportée à la gehenne l'endemain, les membres touts brisez, passa
un lasset de sa robbe dans l'un bras de sa chaize, à tout un noeud
coulant, et y fourrant sa teste, s'estrangla du pois de son
corps : Ayant le courage d'ainsi mourir, et se desrober aux
premiers tourments, semble elle pas à escient avoir presté sa vie à
ceste espreuve de sa patience du jour precedent, pour se moquer de
ce tyran, et encourager d'autres à semblable entreprinse contre
luy ?
    Et qui s'enquerra à nos argoulets, des experiences qu'ils ont
euës en ces guerres civiles ; il se trouvera des effets de
patience, d'obstination et d'opiniastreté, par-my nos miserables
siecles, et en ceste tourbe molle et effeminée, encore plus que
l'Egyptienne, dignes d'estre comparez à ceux que nous venons de
reciter de la vertu Spartaine. Je sçay qu'il s'est trouvé des
simples paysans, s'estre laissez griller la plante des pieds,
ecrazer le bout des doigts à tout le chien d'une pistole, pousser
les yeux sanglants hors de la teste, à force d'avoir le front serré
d'une corde, avant que de s'estre seulement voulu mettre à rançon.
J'en ay veu un, laissé pour mort tout nud dans un fossé, ayant le
col tout meurtry et enflé, d'un licol qui y pendoit encore, avec
lequel on l'avoit tirassé toute la nuict, à la queuë d'un cheval,
le corps percé en cent lieux, à coups de dague, qu'on luy avoit
donné, non pas pour le tuer, mais pour luy faire de la douleur et
de la crainte : qui avoit souffert tout cela, et jusques à y
avoir perdu parolle et sentiment, resolu, à ce qu'il me dit, de
mourir plustost de mille morts (comme de vray, quant à sa
souffrance, il en avoit passé une toute entiere) avant que rien
promettre : et si estoit un des plus riches laboureurs de
toute la contrée. Combien en a lon veu se laisser patiemment
brusler et rotir, pour des opinions empruntées d'autruy, ignorées
et incognues ?
    J'ay cogneu cent et cent femmes (car ils disent que les testes
de Gascongne ont quelque prerogative en cela) que vous eussiez
plustost faict mordre dans le fer chaut, que de leur faire
desmordre une opinion qu'elles eussent conçeuë en cholere. Elles
s'exasperent à l'encontre des coups et de la contrainte. Et celuy
qui forgea le conte de la femme, qui pour aucune correction de
menaces, et bastonnades, ne cessoit d'appeller son mary pouïlleux,
et qui precipitée dans l'eau haussoit encores en s'estouffant, les
mains, et faisoit au dessus de sa teste, signe de tuer des
poux : forgea un conte, duquel en verité tous les jours, on
voit l'image expresse en l'opiniastreté des femmes. Et est
l'opiniastreté soeur de la constance, au moins en vigueur et
fermeté.
    Il ne faut pas juger ce qui est possible, et ce qui ne l'est
pas, selon ce qui est croyable et incroyable à nostre sens, comme
j'ay dit ailleurs : Et est une grande faute, et en laquelle
toutesfois la plus part des hommes tombent : ce que je ne dis
pas pour Bodin : de faire difficulté de croire d'autruy, ce
qu'eux ne sçauroient faire, ou ne voudroient. Il semble à chascun
que la maistresse forme de l'humaine nature est en luy : selon
elle, il faut regler tous les autres. Les allures qui ne se
rapportent aux siennes, sont faintes et fauces. Luy propose lon
quelque chose des actions ou facultez d'un autre ? la premiere
chose qu'il appelle à la consultation de son jugement, c'est son
exemple : selon qu'il en va chez luy, selon cela va l'ordre du
monde. O l'asnerie dangereuse et insupportable ! Moy je
considere aucuns hommes fort loing au dessus de moy, notamment
entre les anciens : et encores que je recognoisse clairement
mon impuissance à les suyvre de mille pas, je ne laisse pas de les
suyvre à veuë, et juger les ressorts qui les haussent ainsin,
desquels j'apperçoy aucunement en moy les semences : comme je
fay aussi de l'extreme bassesse des esprits, qui ne m'estonne, et
que je ne mescroy non plus. Je voy bien le tour que

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