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Les Essais, Livre II

Les Essais, Livre II

Titel: Les Essais, Livre II Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Michel de Montaigne
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pourpoinct, contre des
ennemis puissans, au prix d'une mort certaine, et sans aucun soing
de leur propre danger. Ainsi fut assassiné (ce mot est emprunté de
leur nom) nostre Comte Raimond de Tripoli, au milieu de sa
ville : pendant noz entreprinses de la guerre saincte. Et
pareillement Conrad Marquis de Mont-ferrat, les meurtriers conduits
au supplice, tous enflez et fiers d'un si beau chef d'oeuvre.

Chapitre 30 D'un enfant monstrueux
    CE comte s'en ira tout simple : car je laisse aux medecins
d'en discourir. Je vis avant hier un enfant que deux hommes et une
nourrisse, qui se disoient estre le pere, l'oncle, et la tante,
conduisoient, pour tirer quelque soul de le monstrer, à cause de
son estrangeté. Il estoit en tout le reste d'une forme commune, et
se soustenoit sur ses pieds, marchoit et gasouilloit, environ comme
les autres de mesme aage : il n'avoit encore voulu prendre
autre nourriture, que du tetin de sa nourrisse : et ce qu'on
essaya en ma presence de luy mettre en la bouche, il le maschoit un
peu, et le rendoit sans avaller : ses cris sembloient bien
avoir quelque chose de particulier : il estoit aagé de
quatorze mois justement. Au dessoubs de ses tetins, il estoit pris
et collé à un autre enfant, sans teste, et qui avoit le conduit du
dos estouppé, le reste entier : car il avoit bien l'un bras
plus court, mais il luy avoit esté rompu par accident, à leur
naissance : ils estoyent joints face à face, et comme si un
plus petit enfant en vouloit accoler un plus grandelet. La
joincture et l'espace par où ils se tenoient n'estoit que de quatre
doigts, ou environ, en maniere, que si vous retroussiez cet enfant
imparfaict, vous voyiez au dessoubs le nombril de l'autre :
ainsi la cousture se faisoit entre les tetins et son nombril. Le
nombril de l'imparfaict ne se pouvoit voir, mais ouy bien tout le
reste de son ventre. Voyla comme ce qui n'estoit pas attaché, comme
bras, fessier, cuisses et jambes, de cet imparfaict, demouroient
pendants et branslans sur l'autre, et luy pouvoit aller sa longueur
jusques à my jambe. La nourrice nous adjoustoit, qu'il urinoit par
tous les deux endroicts : aussi estoient les membres de cet
autre nourris, et vivans, et en mesme poinct que les siens, sauf
qu'ils estoient plus petits et menus.
    Ce double corps, et ces membres divers, se rapportans à une
seule teste, pourroient bien fournir de favorable prognostique au
Roy, de maintenir soubs l'union de ses loix, ces parts et pieces
diverses de nostre estat : Mais de peur que l'evenement ne le
desmente, il vaut mieux le laisser passer devant : car il
n'est que de deviner en choses faictes,
Ut quum facta sunt, tum
ad conjecturam aliqua interpretatione revocantur 
: comme
on dit d'Epimenides qu'il devinoit à reculons.
    Je vien de voir un pastre en Medoc, de trente ans ou environ,
qui n'a aucune monstre des parties genitales : il a trois
trous par où il rend son eau incessamment, il est barbu, a desir,
et recherche l'attouchement des femmes.
    Ce que nous appellons monstres, ne le sont pas à Dieu, qui voit
en l'immensité de son ouvrage, l'infinité des formes, qu'il y a
comprinses. Et est à croire, que cette figure qui nous estonne, se
rapporte et tient, à quelque autre figure de mesme genre, incognu à
l'homme. De sa toute sagesse, il ne part rien que bon, et commun,
et reglé : mais nous n'en voyons pas l'assortiment et la
relation.
     
    Quod crebro videt, non miratur, etiam si, cur fiat nescit.
Quod ante non vidit, id, si evenerit, ostentum esse
censet
.
    Nous appellons contre nature, ce qui advient contre la coustume.
Rien n'est que selon elle, quel qu'il soit. Que cette raison
universelle et naturelle, chasse de nous l'erreur et l'estonnement
que la nouvelleté nous apporte.

Chapitre 31 De la cholere
    PLUTARQUE est admirable par tout : mais principalement, où
il juge des actions humaines. On peut voir les belles choses, qu'il
dit en la comparaison de Lycurgus, et de Numa, sur le propos de la
grande simplesse que ce nous est, d'abandonner les enfans au
gouvernement et à la charge de leurs peres. La plus part de noz
polices, comme dit Aristote, laissent à chascun, en maniere des
Cyclopes, la conduitte de leurs femmes et de leurs enfants, selon
leur folle et indiscrete fantasie. Et quasi les seules,
Lacedemonienne et Cretense, ont commis aux loix la discipline de
l'enfance. Qui ne voit qu'en un estat tout despend de son education
et nourriture ? et cependant sans aucune discretion, on la
laisse à

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